Chroniques rebelles
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Samedi 14 juillet 2018
Nouvelles des Dyschroniques (passager clandestin)
Article mis en ligne le 27 juillet 2018
dernière modification le 4 juin 2018

par CP

Nouveau coffret de Dyschroniques avec 7 nouvelles de Science Fiction, des textes visionnaires et quelque peu oubliés, qui décrivent la main mise de la pub sur la société, la mégalomanie des grands projets inutiles, l’éradication de la diversité culturelle, l’absurdité du « progrès » en tant que tel, l’anéantissement des Etats-Unis, l’emballement de la technologie et l’emprise des complexes militaro-industriels.

Audience captive (1953) d’Ann Warren Griffith
La montagne sans nom (1955) de Robert Scheckley
La main tendue (1950) de Poul Anderson
La vague montante (1955) de Marion Zimmer Bradley
Continent perdu (1970) de Norman Spinrad
Le pense-bête (1962) de Fritz Leiber
Le mercenaire (1962) de Mack Reynolds

Et nous avons choisi, avec les lectures de Nicolas Mourer, de vous mettre dans l’ambiance…

Les chroniques rebelles suivent depuis le début la collection des Dyschroniques et chaque publication est une surprise, tant par l’écriture que par l’imagination étonnante et subtile des anticipations qui se réalisent. La presque totalité des textes publiés ont été écrits dans les années 1950-1960 par des maîtres de la science-fiction et possèdent tous des qualités prémonitoires troublantes par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui. Audience captive d’Ann Warren Griffith, la Montagne sans nom de Robert Sheckley ne dérogent pas à la tradition des Dyschoniques. Place donc à l’imagination, à l’anticipation, à la réflexion critique…

Audience captive d’Ann Warren Griffith

Autrement dit l’envahissement total de la vie, de l’intime par l’enfer de la publicité et l’aliénation à demeure sans aucune échappatoire, sinon la taule…

1953, les Etats-Unis vivent sous la domination de la propagande qui, selon Noam Chomsky, « est à la démocratie ce que la violence est à un État totalitaire ». Les techniques publicitaires sont de plus en plus péremptoires et sophistiquées pour créer les besoins de consommation et c’est la trame de la nouvelle d’Anne Warren Griffith : l’emprise du capitalisme de plus en plus totalitaire grâce à la publicité. Science fiction ? Euh… Pas si sûr vu, aujourd’hui, si l’on considère les assauts quotidiens des injonctions à consommer, à se conformer, à oublier toute possibilité de choisir par soi-même, de refuser… De rêver dans le silence…

Au lieu de cela, le marketing pousse à l’extrême pour vendre, vendre, vendre… Car « un industriel potentiellement capable de fournir un produit précis à tout un continent ne peut pas se permettre d’attendre le client. Au moyen de la publicité et de la propagande, il s’efforce de rester en contact permanent avec le grand public, de façon à créer une demande continue sans laquelle son usine coûteuse ne dégagerait pas de profits. [Donc il faut] élargir la clientèle, et à cette fin l’industriel doit connaître en profondeur non seulement son activité (la fabrication d’un produit en particulier), mais aussi la structure, la personnalité, les préjugés d’un public potentiellement universel à sa mesure. » Propaganda d’Edward Bernays.

Audience captive d’Anne Warren Griffith, c’est la version moderne de la petite maison dans la prairie, une version où les produits parlent, où la vie est rythmée par les ordres publicitaires, où l’espace sonore est gangréné par des slogans marchands et où les sentiments — s’il y en a encore — doivent suivre les lois du marché… Gare à ceux et celles qui transgressent !
L’ordre patriarcal doit avant tout être respecté pour la stabilité de l’État, la mère de famille est à sa place, dans sa belle cuisine, aidée dans les tâches ménagères par des messages publicitaires, et qui lui disent quand et avec quoi remplir le frigo familial. Les enfants modèles sont complètement accros à leurs produits et à l’agression des jingles de pub et le père travaille pour la Société de Ventriloquie Universelle des Etats-Unis, tentaculaire agence et unique pourvoyeuse de bonheur et maître de cérémonie du devoir constitutionnel à consommer.

Alors, oubliez les conversations familiales, ne résistez pas au bonheur aseptisé et obligatoire, suivez aveuglément et religieusement les commandements de la publicité ! Et surtout ne pensez pas, mais consommez !
De la science fiction ? La question est posée : la réalité rattrape et même dépasse souvent la fiction.

Musiques : Tony Hymas. Dupain, Tout le monde. Martin Saint-Pierre, Miroir sonore. Boris Vian, La Complainte du progrès. Bistanclaque, Consomme ! Les Malpolis, Les droits de l’homme sandwich.

La Montagne sans nom de Robert Sheckley

Robert Sheckley imagine, en 1955, les conséquences de la folie destructrice et bétonnière poussée à son paroxysme pour d’importants projets planétaires inutiles, la règle étant d’adapter la nature aux plans de colonisation pour le profit de grandes firmes de construction. Vive le BTP et l’anéantissement des planètes !

Si l’on songe aujourd’hui aux projets mégalomaniaques de dirigeant.es en mal de renommée électorale ou de profits, la réalité dépasse encore une fois la fiction… Des exemples proches : détournement de rivière au Brésil pour alimenter en eau le village des jeux olympiques, même type de projet en Chine entre le nord et le sud, construction d’un aéroport à Nantes au prix de la destruction de forêts et de pâturages… Nombreux sont les exemples de ces grands projets totalement inutiles et à coup sûr nuisibles à l’environnement, générant en outre de véritables catastrophes pour les populations. « Ce que la nature a mis un million d’années à construire, nous sommes capables de le détruire en un seul jour. Nous pouvons mettre en miettes cette belle montagne et la remplacer par une ville de ciment et d’acier garantie pour un siècle ! »

Dans la Montagne sans nom, c’est une armée de consultants, d’ouvriers qui s’activent pour supprimer les montagnes, raboter les plaines, déplacer des forêts… Afin que rien n’entrave le Plan de Travail 35 pour qu’il « devienne un centre d’accueil favorable à la civilisation technologique unique et exigeante de l’homo sapiens.  » Rien qui soit susceptible de stopper ce Plan de travail, sinon l’inimaginable !

Vision d’un futur au présent, cette nouvelle de Robert Sheckley est un magnifique scénario pour un film catastrophe, tout est là : l’action, la métaphore impérialiste, l’engrenage mortifère, l’inconscience méprisante du colonisateur-envahisseur, l’aveuglement du court terme au nom de l’efficience à tout prix… Sheckley développe ici une critique acerbe des sociétés occidentales en général et de la société étatsunienne en particulier. Une critique plus que jamais d’actualité.

Comme dans la Dixième victime, adaptée à l’écran par Elio Petri en 1965, la course en avant de l’absurde s’allie à l’arrogance des serviteurs du productivisme capitaliste, de même qu’à la soif d’expansion impérialiste au détriment bien entendu des minorités, des cultures locales et de la nature.

La montagne sans nom (The Mountain Without a Name) est parue aux États-Unis en 1955 et en France en 1969 dans la revue Fiction.

Musiques : Philip Glass, The Day Room. Pink Floyd, Welcome to The Machine. Led Zeppelin, The Battle Of Evermore.

La Main tendue de Poul Anderson

En 1950, Poul Anderson imagine l’anéantissement de la diversité culturelle par un impérialisme intergalactique. Dans un futur lointain, l’humanité a essaimé à travers d’innombrables galaxies et est parvenue, tant bien que mal, à pacifier des univers entiers et à imposer son modèle de civilisation. Pacifier ? Ce n’est pas si sûr, car un conflit destructeur vient d’opposer les habitants de Cundaloa à ceux de Skontar.

Les Terriens se proposent alors d’« aider » — le terme aider dissimule bien des calculs et des stratégies en l’occurrence —, aider donc les deux peuples à se reconstruire, mais sous certaines conditions, qui sont de renoncer à leur culture, à leurs mœurs et à leur technologie pour adopter la civilisation humaine. Les Cundaloiens acceptent l’offre, les Skontariens la refusent.
Vous avez évidemment pensé à la « guerre humanitaire », à la « démocratie » offerte comme un saint graal aux peuplades soi-disant arriérées, et autres missions diverses et variées pour imposer le modèle mondialisé et enrichir les complexes militaro-industriels… La parabole est démonstrative. Toute ressemblance avec des événements où les grandes puissances ont joué le rôle de sauveur en engrangeant des devises, de nos jours et dans un passé récent, est évidente. À commencer par le Plan Marshall, pour la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, et des conditions qui accompagnaient l’aide états-unienne. De multiples situations similaires existent aujourd’hui…

Le plan Marshall a été rentable et l’influence qu’il a permis est visible. La France est le pays où il y a le plus de Mac Do, plus qu’aux Etats-Unis, l’implantation d’Eurodisney a bénéficié de toutes les aides et les facilités dans la région parisienne, au détriment de l’environnement. C’est un des meilleurs outils de propagande… qui commence avec les gosses, les futurs clients et clientes… Allez, c’est le moment de boire son Coca — light bien sûr —, de se regarder un block buster en direct de l’usine Hollywood dans un des nombreux multiplex, avec un seau de pop corn qui pue et les sucreries qui niquent les dents… La consommation future est assurée. La main tendue de Poul Anderson, on est en plein dedans !

Musiques : Rage Against the machine, Born as Ghosts. Fred Alpi/Skalpel, Étranges Abysses.

La vague montante de Marion Zimmer Bradley

En 1955, Marion Zimmer Bradley écrit cette nouvelle, La vague montante, qui évoque une société non dominée par la technologie et la compétition.
Les femmes, auteures de science-fiction ne sont pas si nombreuses. Enfin, il y a quand même Ursula Le Guin, une libertaire prolixe — pour ne citer que certains de ses ouvrages : La Cité des illusions, La Main gauche de la nuit, Le nom du monde est forêt, Les Dépossédés, Le Dit d’Aka, ect… —, et Elisabeth Vonarburg et ses Chroniques du pays des mères.

La vague montante raconte l’épopée d’un équipage, formé par les descendants du premier vaisseau stellaire, et son retour sur terre après 130 années humaines, c’est-à-dire cinq siècles de contraction espace-temps ! Des surprises et non des moindres les attendent : sur terre, le fédéralisme et l’autogestion régissent la prise de décision collective, la science semble avoir disparu au profit d’une économie fondée sur la commune et l’agriculture, et le véritable progrès est celui de l’épanouissement humain. De quoi faire perdre le Nord à ces voyageurs et voyageuses d’un autre temps.
Le texte parle donc d’une humanité qui ne serait plus aliénée à la technologie, qui aurait choisi d’abandonner l’idée de domination de l’autre pour s’épanouir… Intéressant ! Il fallait bien que ce soit une femme qui écrive sur l’utopie… La vague montante de Marion Zimmer Bradley

Musiques : Regis Campo, Ombra Felice. Patti Smith, Mosaïc. Monty Atkins, Pannel 1 To Rose. Rage Against the Machine, Killing in the Name.

Continent perdu de Norman Spinrad

En 1970, Norman Spinrad imagine un voyage dans les abîmes de la civilisation étatsunienne défunte.

Pour planter le décor de cette nouvelle : nous sommes au XXIIe siècle, 200 ans après « La grande panique ». Les États-Unis sont un pays sous-développé vivant uniquement du tourisme et les immenses mégalopoles, qui symbolisaient autrefois la puissance du pays, ne sont plus que ruines et pollution. Mike Ryan, guide et pilote indigène, s’apprête à mener son groupe de touristes — des représentants de l’élite africaine — dans ce qu’il reste de New York.

Publiée aux États-Unis en 1970 dans le recueil Science Against Man (La science contre l’homme), la nouvelle est contemporaine de l’époque de la conquête de la lune, du mouvement pour les droits civiques et de la guerre du Vietnam… Quatre décennies ont passé depuis, le monde occidental vit une crise économique et une pollution alarmante, les États-Unis voient leur hégémonie contestée, et on se dit que Norman Spinrad était visionnaire, comme beaucoup d’auteur.es de science-fiction.

Musique : Lawrence McGuire et P. Olivier, How dare they call me insane.

Le Pense bête de Fritz Leiber

Ce texte de Fritz Leiber, écrit en 1962, revient sur le thème de l’ordinateur qui finalement prend le contrôle de l’humanité. Une partie des humains a échappé à une catastrophe et vit dans des abris sous terre, les autres survivent en surface. Gussy et sa compagne Daisy vivent dans une tour abandonnée. Gussy est un inventeur de génie et souvent Fay, qui vit sous terre, le visite pour récupérer ses inventions pour une grosse firme qui les commercialise. Et voilà que l’inventeur conçoit un aide-mémoire automatique, le Mémorisateur, qui immédiatement fait fureur... avant d’échapper à tout contrôle.

L’obsession du progrès et de la technique asservit les humains et Le pense-bête en donne une parfaite illustration. C’est une fable sur la fascination technologique et les dangers d’une société qui perd toute son humanité. L’anticipation est ici comme une alarme.

Musiques : Chien vert, Radio Data, Hell’s Bell’s et Cantankerous. The Doors, Back Door Man. Patti Smith, Tarkowsky (The Second Stop is Jupiter)

Le Mercenaire de Mack Reynolds
Les guerres entre multinationales. Discours de Eisenhower. Maintenir le monde dans une logique de guerre économique permanente. Plus de 50 conflits en permanence dans le monde. (Lire Andrée Michel : Surarmement. Pouvoir. Démocratie)

Musiques : Hedgehoppers, It’s Good News Week. The Temptations, Ball of Confusion. Edwin Starr, War.