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Samedi 17 décembre 2016
La Jeune fille sans mains de Sébastien Laudenbach. Des spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari
Article mis en ligne le 19 décembre 2016
dernière modification le 23 décembre 2016

par CP

La Jeune fille sans mains

Film d’animation de Sébastien Laudenbach, texte de François Rannou

Des spectres hantent l’Europe

Film documentaire de Maria Kourkouta et Niki Giannari.

La Jeune fille sans mains

Film d’animation de Sébastien Laudenbach, texte de François Rannou

(sortie nationale 14 décembre 2016)

Un dessin superbe, une animation originale et revenant aux sources. Quant à la narration, elle s’imbrique dans mouvement et chaque changement de décor…
Magique !

Un meunier très pauvre fait un deal avec un être maléfique : donner le pommier derrière le moulin… Promesse est faite, mais l’arbre est le refuge de la fille du meunier et là commence la malédiction, la perte des mains, la fuite, l’aventure d’une vie…

La Jeune fille sans mains est un conte et une métaphore de l’émancipation et ce fut un véritable plaisir de découvrir le film et cette animation à contre-courant.

La beauté du dessin, alliée à la subtilité des couleurs et à l’originalité de l’animation elle-même, jouant sur le rythme musical, c’est tout cela la Jeune fille sans mains, sans les trucages habituels et classiques… Bref, de la poésie pure !

On imagine le travail pictural de chaque planche, «  Le film [explique Sébastien Laudenbach] a été peint sur papier, du premier au dernier plan dans l’ordre chronologique, d’une façon plus ou moins improvisée ainsi que le ferait un jazzman sur un canevas.  » Improvisation proche de la musique certainement, avec également une pratique étonnante pour créer les liens entre les séquences du film et y ajouter cette dimension poétique particulière au conte des frères Grimm.

Et au-delà de la fable, on perçoit une narration à plusieurs niveaux, à tiroirs en quelque sorte…

Il y a la vision sociale : ce que la misère pousse à faire pour survivre, sans méfiance des interventions providentielles. En acceptant que l’eau du ruisseau se transforme en or, le brave meunier croit régler ses problèmes, mais il oublie les conséquences du pacte : l’abandon de ses principes et de son humanité. Désormais prêt à toutes les compromissions pour conserver sa nouvelle richesse, il ira jusqu’à sacrifier sa famille et commettre des faits indignes et cruels. Autrement dit : comment l’argent subvertit un être humain.

Et il y a la dimension féministe : la jeune fille, longtemps soumise à l’autorité paternelle, découvre la nature de l’autorité et son injustice, rompt avec son père et part à la recherche d’elle-même et d’un autre monde. Avec le soutien de la rivière, elle va peu à peu se libérer de la domination masculine. Mais ce n’est qu’après de nombreuses épreuves qu’elle découvre son autonomie et la voie qu’elle choisit…

En épilogue, on peut donc voir dans la Jeune fille sans mains — inscrit dans la trame de l’histoire —, le pouvoir néfaste de la richesse, les manipulations de qui la dispense, les méfaits du patriarcat et l’émancipation de la jeune fille sans mains… Mais n’en disons pas plus… Sinon ajouter que la justesse des voix et l’apport de la bande son accompagnent parfaitement l’image, la complète et même la transcende.

Un film magique, à voir absolument…

Des spectres hantent l’Europe

Film documentaire de Maria Kourkouta et Niki Giannari.

Les camps de réfugié.es sont des zones d’arbitraire, d’attentes interminables, de désespoir et même de mort par manque de soins… Des Spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari place immédiatement le spectateur et la spectatrice dans la réalité d’une situation insupportable. Le premier plan est fixe et cadré sur les pas d’une foule qui piétine dans la boue, se dirigeant vers une destination indéfinie. La seule certitude est que cette foule fuie et tente de passer vers un ailleurs pour échapper aux bombes et à la misère. Le défilé sans fin se poursuit…

Les queues sont une constante, attendre pour manger, pour boire, pour se laver, pour se soigner, pour des informations, pour passer la frontière, pour un droit à l’école, pour tout… Chaque geste du quotidien s’accompagne d’une attente obligatoire. L’attente est la règle.

J’ai rencontré Maria Kourkouta et Niki Giannari lors de la première présentation de leur film en France, au 38e festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier. Des Spectres hantent l’Europe avait été sélectionné pour la compétition des films documentaires.

Par les regards et les gestes saisis par la caméra, par le choix des cadres, des supports et des types de caméras, les deux cinéastes expriment le quotidien des réfugié.es dans le camp d’Idoméni, à quelques pas de la frontière, entre la Grèce et la Macédoine. Le camp est occupé par une population internationale, kurde, syrienne, pakistanaise, afghane et d’autres encore… Tous et toutes espèrent n’être que de passage, attendent pour avancer sur la route des Balkans vers l’Europe. Les autorisations, délivrées au compte-goutte, sont brusquement interrompues lorsque la communauté européenne interdit, sans explication, cette voie de passage. En réponse à l’attente désespérée des réfugié.es, qui voient les trains de marchandises traverser quotidiennement la frontière et aperçoivent cet « autre côté » à portée de voix, c’est un silence glaçant accompagné de la brutalité des gardes-frontières. En Grèce, il y aurait au moins 60 000 réfugié.es bloqué.es dans les camps tenus par l’armée et le HCR, des camps où les conditions de vie sont très précaires.

Dans des Spectres hantent l’Europe, l’idée de passage est fondamentale comme l’explique si bien le texte off qui accompagne la seconde partie du film. Il n’est pas seulement question de la catastrophe actuelle et de l’attitude inhumaine et scandaleuse des États, mais ce qui est souligné dans le film, c’est la pérennité de ces exils forcés des populations.

Le documentaire, Des spectres hantent l’Europe, est une véritable plongée dans le camp d’Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne où s’entassent des populations réfugiées : kurdes, syriennes, afghanes… Une multitude de personnes qui, lorsque l’Europe décide de fermer les frontières, bloquent les rails traversant la frontière. Une voix off fait le lien avec la situation actuelle et la mémoire des exils, des errances et des murs dressés hier et aujourd’hui :

« Comment part une personne ? Pourquoi part elle ? Vers où ?
Avec un désir 
que rien ne peut vaincre

ni l’exil, ni l’enferment, ni la mort.
Orphelins épuisés,

ayant faim, ayant soif,
désobéissants et têtus,

séculaires et sacrés
Sont arrivés

en défaisant les nations et les bureaucraties.
Se posent ici,
 attendent et ne demandent rien,
seulement passer.

[…]
Ici, dans le parc bouclé de l’Occident,

Les sombres nations rempardent leurs champs
confondent le pourchasseur et le pourchassé.
À présent, pour une fois encore,
Tu ne peux te poser nulle part

Tu ne peux aller ni vers l’avant ni vers l’arrière.
Tu te retrouves immobilisé.

[…]
Dans ce vaste temps de l’attente,

Nous enterrons leurs morts à la va-vite,
D’autres leur éclairent un passage dans la nuit,
D’autres leur crient de s’en aller
 et crachent sur eux
et donnent des coups de pied
d’autres encore les visent et vont vite verrouiller leurs maisons.
Mais ils continuent, eux, à travers la sujétion,

Dans les rues de cette Europe nécrosée

Qui « sans cesse amoncelle ruines sur ruines »,
au moment même où les gens observent le spectacle,
depuis les cafés ou les musées, les universités ou les parlements.
Pendant que les heures passent
dans cet entre-deux plein de boue,
dans ces terribles barbelés

je comprends 
qu’ils sont déjà passés.
Apatrides, sans-foyer. Ils sont là.

Et ils nous accueillent
Généreusement
dans leur regard fugitif,
nous, les oublieux,
 les aveugles.
 »

Des spectres hantent l’Europe de Maria Kourkouta et Niki Giannari

Dimanche 18 décembre, à 19h, Maria Kourkouta et Niki Giannari ont présenté leur film Des Spectres hantent l’Europe à la Parole errante de Montreuil.

Prochaine projection le février 2017 au Forum es images.