Chroniques rebelles
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Samedi 28 avril 2018
Faire l’économie de la haine. Essais sur la censure. Alain Deneault (écosociété)
Article mis en ligne le 14 mai 2018

par CP

Faire l’économie de la haine

Essais sur la censure

Alain Deneault (écosociété)

La Médiocratie, Politique de l’extrême centre et, enfin, Gouvernance, sont trois textes remarquables qu’Alain Deneault était venu nous présenter l’année dernière dans les chroniques. Faire l’économie de la haine. Essais sur la censure est son nouvel ouvrage, constitué de plusieurs textes autour de la culture de l’argent et de l’asservissement qu’elle engendre immanquablement.

S’appuyant notamment sur sa recherche à propos des travaux de Georg Simmel, qui écrivait : « l’argent a perverti nos plans d’organisation en s’attribuant, comme moyen, un statut de fin à prétention salvatrice », Alain Deneault revient sur l’origine et la signification du terme économie et, par là, sur les conséquences de son emploi et de son évolution. «  À la différence du matérialisme historique [poursuit Simmel] qui rend l’ensemble du processus culturel dépendant des conditions économiques, l’étude de l’argent peut nous apprendre que de profondes conséquences pour l’état culturel et psychique d’une période proviennent en effet de la formation de la vie économique, mais que, d’autre part, cette formation elle-même reçoit son caractère des grands courants cohérents de la vie historique, dont les forces et motifs ultimes demeurent bien sûr un secret divin ». Et d’ajouter : « L’argent s’est donc imposé, mais abusivement au point de devenir le Moyen des moyens, un métamoyen permettant de faire lever à peu près toutes les barrières, de vaincre à peu près toutes les résistances ».

Les poursuites judiciaires, dont Alain Deneault a fait l’objet après la sortie de son livre, Noir Canada, lui inspirent nombre de réflexions dans cet ouvrage, Faire l’économie de la haine. Essais sur la censure, avec un large regard critique et une très grande acuité sur des domaines aussi divers que la « démocratie », la justice, les élections, les paradis fiscaux, les multinationales, les jeux olympiques, entre autres sujets liés entre eux par ce point central qu’est l’économie se déployant au détriment de la vie. Ainsi remarque-t-il, « le déshonneur et le dégoût de soi que l’on éprouverait envers soi-même si l’on devait soi-même piller, violer, tuer, congédier et expulser nos hôtes loin de leurs terres natales, ce déshonneur et ce dégoût, notre culture comptable nous permet d’en faire l’économie sans nous priver de son efficace résultat. » Quant à l’injonction de « rester scientifique ; [de] dire concurrence, croissance, gouvernance, transparence plutôt que décadence, [de] considérer moins les colonnes de chars que les colonnes de chiffres », cela découle évidemment de cette forme de censure qui régit les sociétés, afin que le système institutionnalisé d’inégalités perdure et donc dissimuler les crimes et les spoliations des populations les plus pauvres au nom du sacro saint profit.

Et le langage s’adapte évidemment au système pour parachever le glissement vers le règne de la compétition et du « chacun.e pour soi », pour susciter l’oubli de la solidarité et de la conscience de classe, amplifiant ainsi la soumission à des principes comptables. Pour ne donner qu’un exemple cité dans Faire l’économie de la haine. Essais sur la censure, il s’agit de substituer à la notion de citoyenne et citoyen celle de clientes et clients, réalisant de cette manière la colonisation du psychisme par le capitalisme.

Alors que faire ? demande Alain Deneault. Comment résister ? Sinon en refusant les règles imposées, en se demandant à qui profite le programme de Faire l’économie de la haine. C’est-à dire « Ne pas bien se gouverner selon les injonctions tacites des règles de l’experte bonne gouvernance. Se déclarer en guerre contre la médiocratie qui réduit toute démarche aux cases des demandes de subvention. Faire de tous les mots en vogue les objets de notre traitement critique ; ne jamais leur donner gratuitement accès au siège de sa conscience. » Finalement se libérer des concepts et des codes obligés depuis l’enfance, « ne pas suivre les conseils officiels » et commencer par se réapproprier le langage et les mots pour élaborer d’autres manières de vivre et « s’émanciper du filtre marchand qui codifie le social ».