Chroniques rebelles
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Samedi 22 juin 2019
Burning Country. Au cœur de la révolution syrienne (Leila Al-Shami). Anna, un jour de ZSofia Szilàgyl. Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière. Bixa Travesty de Claudia Priscilla et Kiko Goifman. Yves de Benoît Forgeard
Article mis en ligne le 24 juin 2019

par CP

Burning Country
Au cœur de la révolution syrienne

Leila Al-Shami et Robin Yassin-Kassab (L’Échappée)

Entretien avec Leila Al-Shami.

Anna, un jour
Film de ZSofia Szilàgyl (19 juin 2019)

Ville neuve
Film de Félix Dufour-Laperrière (26 juin 2019)

Bixa Travesty
Film de Claudia Priscilla et Kiko Goifman (26 juin 2019)

Burning Country
Au cœur de la révolution syrienne

Leila Al-Shami et Robin Yassin-Kassab (L’Échappée)

Entretien avec Leila Al-Shami.

Burning country donne la parole à des Syriens et à des Syriennes qui, dès 2011, ont participé à une révolution, construite au jour le jour, dans chaque quartier, chaque village repris au régime de Bachar el-Assad. Ce soulèvement populaire a continué malgré la guerre contre-insurrectionnelle menée par le régime syrien et ses alliés. Régime qui a eu recours à l’instrumentalisation des antagonismes religieux et communautaires, de même qu’à l’emprisonnement et à la torture. Burning country se compose de témoignages pour tenter de comprendre, de démêler une information vite brouillée sur les résistances populaires en Syrie. Il se compose d’un grand nombre d’entretiens et de témoignages directs relatant l’origine, les différentes phases du soulèvement, les formes d’organisation sociale mises en place...

Lors de notre rencontre avec Leila Al-Shami, co-auteure de Burning Country. Au cœur de la révolution syrienne, nous avons choisi d’aborder un chapitre du livre, « La culture et la révolution ».
La culture a été l’une des dynamiques du changement social après les décennies de silence : « il s’agissait d’une révolution culturelle “par le bas”. Les artistes n’étaient plus appréciés en fonction de leur notoriété, mais pour ce qu’ils pouvaient apporter à une société en pleine transformation. » Ils et elles, car les femmes étaient en première ligne, « ne demandaient plus la permission pour s’exprimer, et n’avaient plus envie d’avoir leurs entrées dans les cercles de la culture d’État. Ils [et elles] prenaient la parole dans la rue et en ligne via des slogans, des caricatures, des danses et des chants, mais aussi à travers d’interminables débats qui avaient cours désormais dans les zones libérées. […] Leurs protestations ciblaient le régime, l’État islamique, l’ASL, la Coalition internationale, les pays étrangers et d’autres encore. Les conversations quotidiennes étaient le reflet de cette ébullition. »

« La culture syrienne s’est remplie de l’esprit de rébellion et du refus [témoigne Aziz Asaad]. Elle a été pénétrée par des références et des concepts entièrement nouveaux apportés pêle-mêle par les nécessités de la vie en cavale, les manifestations, la coordination, les médias, le journalisme activiste. » Et Marcell Shewaro d’ajouter : « Nous avons été contraints de nous poser des questions radicales sur Dieu, la religion, les relations sociales, les hommes et les femmes, la société, la pauvreté, l’argent… Ceux [et celles] qui ont participé à la révolution envisagent les valeurs, le courage, le pays lui-même sous un autre angle. »

Anna, un jour
Film de ZSofia Szilàgyl (19 juin 2019)

Anna jongle avec sa quarantaine, son travail, trois gosses, des soucis financiers, et un mari qui décroche de la vie familiale. Dépassée par le rythme frénétique de ses journées — travail, maison, enfants et mari qui prend la tangente —, Anna, agaçante et touchante, perd pied et s’enfonce peu à peu dans une situation où tout lui échappe.
Anna, un jour… Ou sacrée journée !

On pourrait dire qu’Anna est une sorte de perfect mother, mais voilà au cours des années, les rapports changent et il faut couper le cordon, déléguer… De son point de vue, cela lui paraît impossible et elle s’évertue à gérer le quotidien sans prendre le temps d’y réfléchir. Côté couple, c’est la routine, et finalement s’oublier soi-même aboutit à l’usure des sentiments et peu à peu à leur effacement. Le désir est absent, les relations sexuelles sont rares… Se tisse alors le piège ordinaire du couple avec un compagnon qui s’éloigne, tandis que la proche copine représente la découverte, l’attention mutuelle, et l’aventure à portée de main. Anna n’arrête pas de courir et n’écoute rien… Peut-être préfère-t-elle le déni ?

La réalisatrice décrit avec finesse l’attente d’Anna devenant contrainte pour les autres, la perte de connivence, l’absence d’échange sinon, pour les reproches, et puis l’oubli du partage lorsqu’on a plus rien à se dire. « Il y a quelque chose à la fois de très ordinaire et d’incroyablement cruel dans ce quotidien — et pas seulement celui des mères ou des femmes. On ne peut rien faire pour soi ni même savoir ce que l’on voudrait pour soi, quand le temps maximum où l’on peut rester assis tranquillement sans penser à la prochaine tâche à accomplir ne dépasse pas dix minutes par jour. La somme de tout cela nous retient de nous libérer des contraintes, de nos devoirs et de nos bonnes manières. »

Anna, un jour de ZSofia Szilàgyl fait penser à une sonate à la fois triste et lasse…
Le film est en salles depuis le 19 juin.

Ville neuve
Film de Félix Dufour-Laperrière (26 juin 2019)

Dans le film de Félix Dufour-Laperrière, c’est tout d’abord la technique de l’encre sur papier qui attire l’œil, le monochrome et la manière artisanale de réaliser cette animation en font la singularité. Pour « fabriquer » Ville Neuve, il a fallu pas moins de 8 000 dessins qui expriment les liens, en quelque sorte l’écho, entre les turbulences du couple séparé d’Emma et de Joseph et celles, politiques, de la période de volonté d’indépendance du Québec. Pourtant, comme le précise le réalisateur, « je n’ai pas voulu mettre en place un système exact d’équivalence, où une position sur l’indépendance du Québec s’incarnerait dans un personnage et l’option opposée dans un autre. J’ai plutôt tenté de convoquer des forces, des désirs, des espérances communes aux relations amoureuses et filiales et aux aspirations politiques. Ce sont, à mon sens, deux espaces liés, communiquants. Les libertés collectives, les engagements que l’on honore résonnent dans les libertés intimes et les liens que nous chérissons. »

Adapté d’une nouvelle de Raymond Carver, Ville Neuve se déroule au bord de la mer, sur les côtes arides de la Gaspésie, et met en scène les retrouvailles d’un couple dans la maison d’un ami. Joseph souhaite le retour d’Emma et s’accroche à cet espoir, Emma, plus lucide, est perplexe, mais dans le dédale des désirs, des réflexions qui se croisent et parfois se répondent, il y a toute l’ambiguïté du rapport amoureux, les attentes contradictoires face à un paysage sévère. Le choix de l’encre sur papier en accentue en effet la force, comme l’isolement, de même ce noir et blanc contrasté accompagne l’évolution des sentiments. En trame et sous formes de visions violentes ou de cauchemars, Félix Dufour-Laperrière introduit les événements et les espoirs politiques du Québec, mêlant ainsi l’intime et le collectif.

A l’incertitude du devenir du couple répond celle du climat politique au Québec, sur fond d’agitation, plus ou moins fantasmée, car le cinéaste a pris quelques libertés avec l’histoire. Il résulte du climat, du dessin, de tout le film une anxiété, des questionnements. De plus, le film s’imprègne de traces poétiques, sans doute évidentes pour s’adapter à l’originalité des images, à leur rythme.

Ville Neuve est un film singulier, surprenant, génial par la forme et le fond qui échappent de loin aux genres et aux cadres habituels de l’animation.
Ville Neuve de Félix Dufour-Laperrière est à voir à partir du 26 juin.

Bixa Travesty
Film de Claudia Priscilla et Kiko Goifman (26 juin 2019)

Le film est un portrait fascinant de la rappeuse transgenre Linn da Quebrada. Linn a une présence incroyable sur scène qui n’a d’égal que son courage à provoquer sans aucune retenue le machisme brésilien. Originaire d’une région très pauvre de São Paulo, Linn da Quebrada est belle et charismatique ; elle se revendique comme « terroriste du genre » et sait les risques qu’elle prend en s’exposant ainsi, surtout depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir. Elle considère ses compositions funk et ses shows comme une arme contre le machisme et n’hésite pas à affronter en direct les préjugés sexuels et raciaux. « À bas les machos ! ». À bas ceux qui l’appellent la « folle de la favela », ni homme ni femme, ceux qu’elles dérangent, ceux qui « baisent, consomment et se barrent » ! Bon, ajoute Linn, « Je vais me faire tatouer “ELLE” sur le front pour ne plus entendre “il”. »

Son corps, sa voix, ses textes, la gestuelle qu’elle adopte sur scène sont autant d’expressions de la transgression et de la subversion. « C’est dans la musique que je déconstruis le désir », explique-t-elle et ses performances sont à coup sûr politiques et surtout essentielles dans une société dominée par les églises évangélistes et un régime qui s’acharne sur les minorités. Dans un tel contexte social où toute forme de marginalité est diabolisée, le langage de Linn da Quebrada bouscule tous les préjugés et les stéréotypes. « L’un des éléments les plus importants [confie Claudia Priscilla, co-réalisatrice du film], c’est le discours autour du corps, et de cette nouvelle ère dans laquelle nous vivons. Il n’y a plus deux genres, il y a beaucoup plus de possibilités que cela. C’est un vrai message sur l’opportunité de vivre librement notre rapport à notre propre corps, de vivre notre vie. [Le Brésil est ] le pays qui a la communauté de personnes transgenres la plus importante au monde, c’est essentiel de parler de ce sujet ici et maintenant. Le Brésil est un endroit très violent avec ces personnes, aucune loi spécifique ne les protège et ça ne va pas s’arranger… »

Au moment du retour inquiétant d’un conservatisme de droite, qui évidemment s’accompagne d’une recrudescence de violences racistes et de machistes, Bixa Travesty — littéralement « pédé travesti » — est un film subversif et politique, co-réalisé en équipe par Claudia Priscilla et Kiko Goifman, avec Linn da Quebrada.
Bixa Travesty, le titre est emprunté à une chanson de Linn, sera sur les écrans le 26 juin.

Yves
Film de Benoît Forgeard (26 juin 2019)

Installé chez sa grand-mère qui n’est plus, Jérem partage son temps entre parler à son chien et composer un album de rap sur son ordinateur. Le chien est super. La composition en revanche n’avance guère. C’est alors que débarque dans le pavillon de mémé une représentante de la start-up Digital Cool, qui persuade Jérem d’essayer Yves, un frigo intelligent nouvelle génération. C’est gratuit et ça va soi-disant changer sa vie. Tout d’abord réticent aux initiatives culinaires du frigo qui bouscule ses habitudes alimentaires — et en plus il raisonne —, Jérem finit par l’accepter, très encouragé par la représentante de la com qui, elle, fait ses tests clientèle/cobaye. Et voilà qu’Yves — si, si, le frigo — se lâche et prend la direction de l’album de Jérem.

Le film de Benoît Forgeard surfe sur les tendances actuelles à propos de l’intelligence artificielle, mais avec de la dérision… La trouvaille, c’est le concours de l’eurovision avec des concurrent.es articles ménagers intelligents, l’aspirateur qui chante, la machine à laver qui a le rythme dans le tambour, le sèche-cheveux qui groove… Yves remporte le concours avec panache… Quand même !

Dans les années 1950, une nouvelle de science-fiction dont j’ai oublié le nom et l’auteur, mettait en scène un ordinateur, à qui l’on donnait le lieu, le genre, le nom des personnages et une idée de récit, et il vous concoctait, après avoir rapidement mouliné, un manuscrit clés en main, prêt à la publication. Ben, là, c’est la même chose, sauf qu’au lieu d’un ordi, Yves est un frigo et il pulse… Bon, après le film, il est certain qu’on ne regardera plus son frigo de la même manière dans la cuisine.
Présenté à Cannes comme un « film déjanté », Yves sort en salles le 26 juin.

So Long My Son
Film de Wang Xiaoshuai (3 juillet 2019)

À travers l’histoire d’une famille et de leurs ami.es, le film décrit, depuis les années 1980 jusqu’à aujourd’hui, les évolutions de la société chinoise. C’est un portrait tout au long de quatre décennies de véritables bouleversements concernant la vie individuelle et la vie sociale. En effet, comme le souligne le réalisateur, « les deux générations antérieures à celle montrée dans le film ont vécu dans une économie planifiée, dans un système fonctionnant avec une seule idéologie, un seul mode vie auquel elles se pliaient et qui était caractérisé par le fait de ne pas mettre en avant l’individu par rapport au collectif. » Et la politique de l’enfant unique, imposée entre 1979 et 2015, en est une parfaite illustration.

So Long, My Son dresse un réquisitoire de cette politique pour limiter le risque de surpopulation, théoriquement certes, mais sans anticiper les conséquences sur les rapports humains et la vie intime des personnes, ni d’ailleurs faire un bilan de cette politique depuis la fin de son application. Le film est profondément politique, car il porte une réflexion critique sur le système d’ingérence de l’État dans la sphère intime.

Au début des années 1980, Liyun et Yaojun forment un couple heureux avec leur fils unique. Tous deux ont des postes de cadres dans une usine et habitent une cité ouvrière, entouré.es par leurs ami.es et collègues. On sent cependant la répression culturelle de l’État omniprésente sur le quotidien, ne serait-ce que par l’interdiction de la « danse dans le noir » ou de procurer des cassettes de musiques occidentales.

En 1986, alors que la politique de l’enfant unique prévoit des amendes ou même la perte de son emploi en cas de transgression, Liyun est à nouveau enceinte et le couple ne sait trop comment réagir. Liyun, poussée par sa directrice et sa voisine, subit un avortement qui se passe mal. Elle ne pourra plus jamais avoir d’enfant. En compensation, elle reçoit la médaille de « l’ouvrière modèle », un exemple dans l’usine, le couple est applaudi et la directrice lui souffle à l’oreille, « ne fais pas cette tête, il y a aussi une prime », mais Liyun se rebelle quand même et dit « j’en ai marre et je n’ai rien demandé ».

Tant qu’il y a du travail, les gens acceptent en majorité l’ingérence de l’État dans leur intimité, mais lorsque le directeur leur annonce des suppressions d’emplois avec le discours classique du manque de rentabilité de l’usine, les employé.es se révoltent, le traitent d’incapable et lui lancent « commence par te virer toi-même ! » La langue de bois ne réussit pas à calmer les employé.es. C’est alors qu’un évènement tragique va bouleverser la vie du couple et de son entourage. Leur fils unique se noie accidentellement en jouant près d’un barrage avec le fils de la directrice. Les parents sont anéantis et, finalement, se décident à quitter la ville pour s’installer dans le Sud où ils vont tenter de se reconstruire émotionnellement et professionnellement ; Yaojun monte un petit atelier de réparations mécaniques. C’est une rupture brutale, une coupure pour tout le monde, les liens amicaux sont brisés, la culpabilisation de la directrice, qui a obligé Liyun à avorter, la poursuit et aura des conséquences imprévisibles. La perte d’un enfant, la fin de la classe ouvrière d’antan… Le destin intime de cette famille se mêle ainsi étroitement à l’évolution de la Chine contemporaine.

Le temps passe… La singularité narrative du film, le montage, les séquences croisées en adoptant des axes différents, les flashbacks et les ellipses temporelles, accentuent le propos et l’intérêt du film. Avec la déstructuration et le choix d’un récit non linéaire, le réalisateur insiste sur l’importance de faire entrer le public dans la vie des personnages : « ma structure en puzzle fait passer le spectateur par des zones de flou, d’incertitude, mais ces incertitudes sont levées ensuite et n’empêchent pas de ressentir les émotions au présent de chaque séquences : c’est-à-dire les souffrances des personnages, les difficultés et les vicissitudes de l’existence. »
So Long, My Son est une longue fresque historique, sociale et politique qui s’interroge sur le libre arbitre des individus, l’allégeance et la soumission aux règles de l’État, dans la société chinoise certes, mais cela va bien au delà : ce questionnement est universel.
So Long, My Son de Wang Xiaoshuai est en salles à partir du 3 juillet.

Trois films, So Long, My Son de Wang Xiaoshuai (3h 05/ sortie : 3 juillet), Une œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnersmarck (présenté en deux parties, durée totale 3h 10/ sortie : 17 juillet) et Halte de Lav Diaz (4h 39/ sortie : 21 juillet) sont présentés cet été dans une durée longue, hors normes courantes. Il n’en demeure pas moins que cette durée longue commune aux trois films est essentielle pour comprendre les sujets graves abordés, notamment l’acceptation de l’ingérence de l‘État dans l’intimité, l’eugénisme nazi et le fascisme… Trois films, trois chef-d’œuvres à découvrir cet été.

Un film poétique, imprégné de déboires et d’incertitudes amoureuses, situé dans la ville magique d’Ispahan, Reza d’Alireza Motamedi, sort en salles le 21 août prochain. Un conte moderne sur les tourments de l’amour, rythmé par l’histoire philosophique d’un vieil homme face à la mort. Envoûtant et plein d’humour.