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Samedi 30 novembre 2019
Nous n’irons plus aux urnes. Plaidoyer pour l’abstention de Francis Dupuis-Déri (LUX). Jeune Juliette d’Anne Émond (11 décembre 2019). Un été à Changsha de Zu Feug (4 décembre 2019)
Article mis en ligne le 5 décembre 2019

par CP

Nous n’irons plus aux urnes
Plaidoyer pour l’abstention

et
Démocratie
Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France

Deux ouvrages de Francis Dupuis-Déri (LUX)

Entretien avec l’auteur.

Jeune Juliette
Film d’Anne Émond (11 décembre 2019)
Entretien avec la réalisatrice

Un été à Changsha
Film de Zu Feug (4 décembre 2019)

Nous n’irons plus aux urnes
Plaidoyer pour l’abstention

et
Démocratie
Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France

Deux ouvrages de Francis Dupuis-Déri (LUX)

Nous n’irons plus aux urnes. Plaidoyer pour l’abstention de Francis Dupuis-Déri. Et du même auteur, Démocratie. Histoire politique d’un mot aux Etats-Unis et en France, un ouvrage de référence paru en 2013. Deux livres publiés par LUX éditions.

« Quel est ce mystère théologique, cette opération alchimique, faisant que votre souveraineté, un dimanche tous les cinq ou sept ans, devient un fluide qui parcourt tout le pays, traverse les urnes et en ressort le soir sur les écrans de la télévision avec le visage des “représentants du peuple” ou du Représentant du peuple, le monarque proclamé “président” ? » Après Octave Mirbeau et bien d’autres, Castoriadis décrit avec ironie l’absurdité du système électoral sur l’air de «  Si les élections pouvaient vraiment changer quelque chose, elles seraient interdites depuis longtemps. »

Mais le mythe, le « fétiche du suffrage universel  » a la peau dure pourrait-on dire parce qu’incrusté depuis l’enfance à coup de culpabilisation et en brandissant la menace irrémédiable de trahison… Trahir quoi au fait ? Ne pas accomplir son « devoir » en refusant de glisser un bulletin dans l’urne alors que les dés sont pipés serait la pire des choses, « une faute grave qui conduit aux pires catastrophes ». Bref, l’anathème est jeté contre les abstentionnistes alors que la plupart de ceux et celles qui s’expriment votent le plus souvent contre la candidature de telle ou telle personne. « Quant à moi qui n’ai pas voté [dit un humoriste], je n’ai aucune responsabilité à l’égard de ce que font ces gens, et j’ai bien le droit de me plaindre du foutoir que vous avez créé et avec lequel je n’ai rien à voir. » Parce que, finalement, refuser de jouer le jeu soi-disant démocratique interdirait toute forme de critique vis-à-vis d’un gouvernement qui ne nous représente aucunement et qui défend avant tout les intérêts de sa classe et les privilèges de son clan.

Nous n’irons plus aux urnes. Plaidoyer pour l’abstention de Francis Dupuis-Déri dissèque non seulement le processus de l’embrigadement depuis le plus jeune âge à l’allégeance électorale, mais revient en détail sur l’histoire, l’instauration de différents systèmes et leur impact sur les populations. Autrement dit, Francis Dupuis-Déri analyse avec précision, toujours en croisant diverses sources, les influences de « l’élite politique [qui] impose à l’électorat le choix des enjeux prioritaires en campagne électorale, alors que d’autres questions y sont totalement escamotées, même dans les programmes des partis. Les candidates ou candidats cherchent ainsi à se distinguer ou à placer l’adversaire sur la défensive, mais se désintéressent souvent très rapidement de ces enjeux une fois élus. »

L’origine des élections ? « En Europe, les élections ont d’abord été pratiquées au Moyen Âge non pas pour désigner les membres des premiers Parlements, mais dans les ordres religieux et les universités nouvellement fondées. Voter permettait d’exprimer la voix et le choix de Dieu : vox populi, vox Dei. » Et la messe était dite !

Aujourd’hui, « le rituel électoral permet à quelques individus de prétendre représenter le peuple ou de penser, vouloir, parler et agir en son nom, comme un fétiche ou un totem incarnerait la volonté de dieux et de déesses, d’esprits de la nature ou d’ancêtres. Il s’agit d’un processus mystique de consécration qui permet d’affirmer que [tel ou tel pays] souhaite ceci ou cela, déclare ceci ou cela, exige cela ou ceci, comme si le Premier ministre pouvait parler au nom de l’ensemble du pays (alors qu’à peine 20 % ou 30 % de la population lui ont accordé leur suffrage). »

Certes, on entend que de nombreuses personnes ont lutté pour obtenir le droit de vote, mais évidemment pas pour la mascarade qui nous est imposée, et faut-il le rappeler « des policiers, soldats, miliciens ou bourreaux à la solde de parlements ont massacré pour s’assurer que le pouvoir reste entre les mains des parlementaires ou d’un parti politique. » Faut-il en effet rappeler que : « le gouvernement républicain français a ordonné à ses troupes d’écraser la Commune de Paris en 1871, ce qui s’est soldé par le massacre de 20 000 à 30 000 adeptes d’une démocratie autonome et locale ; que le gouvernement républicain social-démocrate allemand a déployé les miliciens des corps francs pour éradiquer les conseils ouvriers qui autogéraient certaines entreprises et même des villes entières, comme Munich, en 1919 ; que les troupes coloniales du régime parlementaire britannique ont mitraillé en 1929 des dizaines de femmes igbo au Nigéria qui protestaient contre de nouvelles taxes, avant de leur interdire de tenir leurs assemblées non mixtes ; que le gouvernement républicain espagnol a dépêché des milices commandées par des officiers soviétiques pour imposer par les armes la reprise des terres collectivisées dans des villages autogérés pendant la révolution de 1936-1939 ; [enfin] que le gouvernement républicain mexicain a ordonné l’attaque des villages libérés par les zapatistes au Chiapas dans les années 1990. »

Nous n’irons plus aux urnes. Plaidoyer pour l’abstention de Francis Dupuis-Déri est, comme la Grève des électeurs d’Octave Mirbeau, à mettre dans toutes les mains. Et la véritable démocratie, c’est une évidence, c’est la démocratie directe !

Nous n’irons plus aux urnes est une critique radicale du système électoral et une histoire parfois loufoque des méthodes pour le subvertir.

Jeune Juliette
Film d’Anne Émond (11 décembre 2019)
Entretien avec la réalisatrice

Juliette est effrontée, malicieuse, un peu grosse et a le talent certain de se raconter des histoires. Elle n’est pas vraiment populaire au collège, mais c’est pas grave : c’est tous des cons ! Juliette a 14 ans, elle a ses théories et croit en ses rêves. Pourtant, les dernières semaines de cours se révèlent agitées et bousculent ses certitudes sur l’amour, l’amitié et la famille...

Anne Émond s’inspire de sa propre adolescence pour construire les personnages d’une Teen Movie, enfin seulement au premier abord, car le film dépasse le genre pour mettre en valeur des ados en marge de la normalisation exigée dès l’école. Juliette n’est pas vraiment dans les normes physiques vantées dans les pubs envahissantes, Juliette est une intellectuelle en herbe par ses lectures et la musique qu’elle écoute, son amie Léane est attirée par les filles et Arnaud est un jeune ado s’abritant dans sa bulle. Il faut ajouter à cela les émotions amoureuses, le temps de la révolte, l’envie de ruer dans les brancards et le besoin de s’émanciper d’un système oppressant et d’adultes souvent à côté de la plaque. Autrement dit : vive la différence !

Jeune Juliette décrit le monde vu par une ado qui, au début du récit, n’a aucun complexe. Mais, peu à peu, les autres lui balancent à la figure qu’elle ne répond pas physiquement aux normes de la majorité. Le harcèlement, d’abord diffus, s’installe et ne s’arrête pas. L’univers imaginaire de Juliette prend alors le pas sur ce qu’elle vit au quotidien, la sublimation permettant de faire fi des humiliations et des doutes vis-à-vis d’elle-même. Cependant si elle subit les vexations des autres élèves, elle a une sacrée répartie. Ce qui ne l’empêche pas de vouloir faire partie du groupe et lorsque son amie Léane lui confie son amour pour elle et son orientation sexuelle, elle lui tourne le dos. Quant à Arnaud, dont elle assure le soutien scolaire, elle le rejette. Et de victime, Juliette devient bourreau.

La perception du corps, l’acceptation de la différence, de soi-même et des autres sont au centre du récit, qui joue à la fois sur l’humour, l’émotion et même la nostalgie d’une époque cruciale de la vie : le temps de la métamorphose.

Jeune Juliette d’Anne Émond est dans les salles à partir du 11 décembre.
Notre rencontre avec Anne Émond a commencé par une question sur son envie initiale de réaliser Jeune Juliette, autrement dit sur le déclic qui a motivé son choix…

Un été à Changsha
Film de Zu Feug (4 décembre 2019)

Ça commence comme un polar avec l’enquête sur la découverte d’un bras sur les rives de la rivière Xiang. Mais le récit glisse bientôt vers une étude psychologique et sociale à la fois ancrée dans la réalité particulière chinoise et plus largement dans l’universel. C’est en fait le passé qui est en question et ses conséquences sur la vie des individus. Le décor du film : un été moite et étouffant au cœur de la Chine. Quant à l’enquête, à part ce bras découpé, les indices sont inexistants jusqu’à ce qu’une jeune femme, médecin, se présente au commissariat et déclare que son frère disparu est la victime. Elle l’a vu en rêve.

« Comment faire face aux secrets de son passé et avancer dans la vie malgré tout ? » C’est la question centrale et elle concerne les personnages principaux. L’enquêteur Bin, dont la femme dépressive s’est suicidé, se sent responsable de sa mort. La sœur de la victime, suspectée de vengeance vis-à-vis de son frère qu’elle estime coupable de la mort de sa petite fille. Le climat du film oscille entre malaise et suspicion, de thriller, le récit tourne à l’analyse psychanalytique des personnages. Les non-dits sont inquiétants et les postures révèlent des blessures insupportables. « Ce qui se passe à Changsha semble pouvoir advenir dans n’importe quelle ville du monde [souligne le réalisateur]. Ce n’est pas simplement une histoire qui se passe en Chine, c’est une histoire universelle, à laquelle nous avons tout de même ajouté des couleurs et des éléments locaux. » Autour des deux personnages hantés par le passé, transitent le collègue pragmatique, la jeune femme enceinte et les parents de la suicidée.

Un second rêve de la jeune femme lui révèle l’endroit où le torse de son frère a été enterré, près d ‘un arbre mort, au milieu de nulle part. « Les rêves, c’est ce qui reste après la mort. » La séquence de la double tentative de suicide devant l’arbre mort s’accompagne d’hallucinations, la lumière y tient un rôle quasi magique. Le réveil dans une chambre d’hôpital ramène Bin à la vision d’un bloc de ciment contenant la tête de la victime.
Un été à Changsha est un film très complexe, à plusieurs niveaux, dont les genres évoluent et se mêlent.

Un été à Changsha de Zu Feug sort mercredi prochain, le 4 décembre.

Musiques : Groupe Les Louanges, BA Jeune Juliette. Coldplay, BA Un été à Changsha.