Chroniques rebelles
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Samedi 7 mars 2020
Économie de la nature. Économie de la foi. Économie esthétique. Trois premiers essais d’Alain Deneault sur le feuilleton économique (LUX éditions). Femmes d’Argentine (Que sea ley). Film documentaire de Juan Solanas (11 mars 2020). La Bonne épouse de Martin Provost (11 mars 2020)
Article mis en ligne le 8 mars 2020
dernière modification le 12 mars 2020

par CP

L’Économie de la nature
Alain Deneault (LUX éditions)

L’Économie de la foi
Alain Deneault (LUX éditions)

L’Économie esthétique
Alain Deneault (LUX éditions)

«  Nous contemplons quelque chose qui est en train de s’éroder à une très grande vitesse. Des mots comme “économie” ou bien “démocratie” ou “politique”, sont des mots qui sont appelés à gagner de nouvelles définitions dans notre histoire récente. […] Il faut cesser de passer par les économistes pour penser l’économie. Si l’on passe par d’autres voies, ça nous permet de penser [l’économie] en matière de relations fécondes. »

Pourquoi un feuilleton théorique sur « les Économies » ? C’est la question qui vient d’abord à l’esprit à la lecture du projet intitulé feuilleton et les trois premiers épisodes de cette « saga », à savoir L’Économie de la nature, L’Économie de la foi et L’Économie esthétique.

Revenir aux origines du mot « économie », accaparé par le capitalisme, reviendrait à rompre avec l’usage qui en est fait aujourd’hui par les seuls « économistes », comme si le mot appartenait désormais à une sorte de chasse gardée ? Depuis quand la captation du terme s’est-elle opérée ? Depuis l’instauration du capitalisme, situé au XVIème siècle pour certain.es, ou au XIXe siècle pour d’autres ? Actuellement — ou bien est-ce par son évolution (?) —, l’utilisation du mot économie est à la base d’une construction de symboles, de représentations et d’évidences qui brouillent les pistes de la compréhension et ne reflètent pas la réalité, malgré le vernis scientifique octroyé aujourd’hui à des fins d’intérêts capitalistiques.

Prenons l’exemple de ce qui se répète ces temps-ci, et qui est parfois désigné comme modèle : aux Etats-Unis, « l’économie est florissante », selon les experts, journalistes et économistes, mais certains commentaires ne manquent pas de compléter par : « les inégalités n’ont jamais été aussi fortes ». Ce qui pose des questions simples et fondamentales sur le terme employé : de quel type d’« économie » s’agit-il et qui a le bénéfice de ce qui est décrit comme une « envolée économique » ? On sait d’ailleurs que celle-ci génère, en plus des inégalités sociales, le gâchis des sources d’énergie et des dégâts irréversibles au plan environnemental par l’exploitation mortifère de la planète. Autrement dit, le terme encensé et dévoyé d’économie serait-il le prétexte à la fuite en avant d’apprentis sorciers du profit ?

Dans son prologue-manifeste, Alain Deneault écrit : « À quoi bon ce chantier de recherche ? D’abord, pour reprendre l’économie aux économistes. C’est-à-dire d’emblée, dissocier économie et capitalisme — ce capitalisme qui, par ses aspects destructeurs, iniques et pervers, ne correspond en rien à l’esprit de l’économie en son sens plein. » Philosophe et penseur critique, Alain Deneault aurait donc comme objectif de « dévoiler depuis son origine les multiples acceptions, significations et définitions du mot “économie” […] pris en otage par les économistes » qui prétendraient, aujourd’hui, en détenir seul.es la capacité d’en parler. Se réapproprier le terme « économie » reviendrait donc à le dégager de la « propagande officielle, celle de la défense d’intérêts particuliers déguisés en cause collective. »

D’où l’importance d’explorer les différents champs d’application du terme dévoyé depuis quelque temps, et qui signifie aujourd’hui résignation et silence face à une destruction annoncée.

CINÉMA :
Femmes d’Argentine (Que sea ley)
Film documentaire de Juan Solanas (11 mars 2020)

En Argentine, où l’interruption volontaire de grossesse est interdite, une femme meurt chaque semaine des suites d’un avortement clandestin. Ce drame touche en majorité des femmes pauvres et jeunes. Le 14 juin 2018, sous la pression des grandes manifestations de femmes dans la rue, les députés argentins disent « oui » à la légalisation de l’IVG.

Mais le 9 août, par 38 voix contre 31, le Sénat rejette le projet de loi. Pendant huit semaines, le projet est âprement discuté, au Sénat et notamment dans la rue, où se rassemblent des milliers de militants prochoice pour défendre ce qu’ils appellent un droit fondamental, le droit du fœtus.

Femmes d’Argentine (Que Sea Ley) de Juan Solanas filme au cœur de la lutte, des femmes qui témoignent de l’horreur de l’avortement clandestin, du traitement de celles-ci dans les hôpitaux par le personnel soignant, de l’abandon de certaines se vidant de leur sang sur des brancards…

Femmes d’Argentine (Que Sea Ley) donne la parole aux femmes et aux hommes arborant le foulard vert de la Campagne pour l’avortement libre. Il dresse un portrait des féministes argentines et montre l’espoir que leur extraordinaire mobilisation a fait naître dans ce pays comme dans le monde.

Femmes d’Argentine (Que sea ley) de Juan Solanas est un film engagé, qui montre la détermination des jeunes féministes à continuer la mobilisation et la lutte malgré le carcan du patriarcat et de la religion.

Un film à ne pas manquer, sur les écrans le 11 mars.

La Bonne épouse
Film de Martin Provost (11 mars 2020)

Des écoles d’enseignement ménager, cela semble une fable bien lointaine, non pas tant que ça et il y en avait des milliers en France, essentiellement en milieu rural, qui ne disparaîtront qu’en 1970. On a tendance à oublier cela, on n’en parle pas, mais les rôles codés pour les filles et les garçons étaient tenaces, bien ancrés dans les mentalités, et le sont encore, en fait ils se recyclent comme les droits acquis peuvent à tout moment régresser…

Ces écoles, ces coutumes pour l’éducation des filles, c’est le sujet du film de Martin Provost, une comédie certes, mais qui n’en oublie pas pour autant la critique du patriarcat et le rappel à la mémoire du rôle encore attribué aux femmes dans les années 1960.

Nous sommes en 1967, presque en 1968 et le récit a pour lieu l’une de ces écoles ménagères, dans l’Est de la France. L’institution Van der Beck enseigne à ses élèves comment devenir la « bonne épouse » sans faillir et dans la parfaite allégeance au futur époux. Trois professeur.es (enfin il n’est pas de bon ton de féminiser les métiers à cette époque…), donc trois professeurs enthousiastes l’animent : Paulette Van Der Beck (Juliette Binoche), Gilberte Van Der Beck (Yolande Moreau) et Sœur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky)…

Le trio a pour but de former des épouses qui sachent tenir leur foyer, se plier au devoir conjugal, être charmante et disponible, faire la cuisine, le trousseau et ainsi de suite… Tout ce qu’une jeune fille doit savoir, sans imaginer, même de loin, un quelconque désir ou une quelconque autonomie. Il s’agit de passer de la domination du père, ou familiale, à celui du mari… Et les voilà casées pour la vie : End of the story

Pas tout à fait puisque le mari de Paulette, le chef (en titre seulement, il ne fait pas grand chose, sinon des dettes) s’étrangle malencontreusement avec un os de lapin et voilà les trois femmes sans guide et de surcroît ruinées… Et comme « une femme sans homme, c’est comme un poisson sans bicyclette » — c’est bien connu — Paulette se trouve dans la panade, mais elle va tout tenter pour sauver l’école d’enseignement ménager et son boulot, je veux dire sa mission… Nous sommes à la veille de mai 68 et elle croise son premier amour, perdu de vue à la fin de la guerre…

Dans la Bonne épouse de Martin Provost, Il s’agit donc de mémoire : « L’éducation ménagère est le symbole d’un monde social où les femmes sont clairement inférieures aux hommes, vouées à la gestion intérieure, laissant au sexe fort la gestion de la chose publique. » Il s’agit également d’une voie vers l’émancipation… Une comédie drôle et grave, musicale aussi… Avec une bande de jeunes comédiennes qui se donnent à fond, tenues par trois profs et les sept piliers destinés à les transformer en ménagères modèles. Pilier n°1 : « La bonne épouse est avant tout la compagne de son mari, ce qui suppose oubli de soi, compréhension et bonne humeur. » Pilier N° 2 : « Une véritable maîtresse de maison se doit d’accomplir ses tâches quotidiennes, cuisine, repassage, raccommodage, ménage, dans une abnégation totale et sans jamais se plaindre. » etc. Merci Paulette !

La Bonne épouse de Martin Provost sera sur les écrans le 11 mars.
Nous avons rencontré l’équipe du film et diffusons aujourd’hui une première partie de l’entretien avec Juliette Binoche et Martin Provost…