Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Koursk. Un sous-marin en eaux troubles. Film documentaire de Jean-Michel Carré
Vingt mille lieues sous les mers ou le cauchemar de la « paix froide »
Article mis en ligne le 6 mars 2008
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

Premiers plans : montée des marches du Kremlin et vers le pouvoir par Vladimir Poutine.

Une mise en scène grandiloquente et irréelle qui tient des Marx Brothers et du couronnement de Pierre Ier : l’homme est seul, solennel pour rejoindre ses « vassaux » dans la grande salle.
Ces quelques plans illustrent à merveille la stratégie de prise de pouvoir et dressent le décor. Dès son « avènement », Vladimir Poutine lance une grande démonstration de force militaire destinée à prouver au monde que la Russie est toujours une puissance mondiale du point de vue de l’armement nucléaire ; mais aussi pour les « clients » potentiels et intéressés par la technologie d’attaque sous-marine. Les « affaires sont les affaires » et le carnet de commande est tendu aux militaires chinois, ce qui inquiète les autres « grands marchands ».

C’est dans ce contexte que se situe l’« accident » du Koursk, fleuron de la flotte sous-marine russe et réputé indestructible, qui va, en quelque sorte, servir de catalyseur à la mise en place d’une stratégie de réappropriation des institutions russes par Poutine et dévoiler ainsi sa détermination politique.

Après les grandes manœuvres militaires qui ont suivi son élection, cette stratégie se dévoile avec la reprise en main de la presse, de l’armée, des services secrets, de la religion — avec ses popes noyautés par le KGB —, et enfin de l’économie, avec l’écartement des oligarques omniprésents depuis Yeltsine. L’affaire du Koursk va en accélérer le processus sur fond d’après-guerre froide que Jean-Michel Carré qualifie de « paix froide ».

Koursk. Un sous-marins en eaux troubles de Jean-Michel Carré est un documentaire d’investigation — réalisé sur trois ans — qui analyse, avec du recul, cette période entre l’élection et la prise de pouvoir de Vladimir Poutine. C’est aussi une enquête remarquable sur les complexes militaro-industriels des grandes puissances.

Le film se base sur les informations, les communiqués, les documents officiels donnés sur Internet et dans les médias. Fallait-il encore avoir le temps de les rassembler, de les croiser, de les analyser à la lumière des contradictions même de l’histoire officielle et des enjeux des grandes puissances : « Ce qui est fascinant dans ce genre d’investigation où votre seule arme véritable en tant que cinéaste est de prendre le temps, ce dont les journalistes ont rarement la possibilité, c’est de découvrir dans des documents relativement accessibles car officiels, des informations qui, regroupées avec d’autres, tout aussi officielles, démontrent le contraire de la thèse qu’ils sont censés illustrer. »

L’enquête menée a pour résultat une hypothèse crédible sur un mensonge d’État exemplaire et un conflit mondial nucléaire frôlé.

Si l’hypothèse — qui paraît fort plausible aux spécialistes — est juste, cela prouve la gestion parfaitement cynique de la situation par Poutine. Le retard de la décision pour sauver les survivants, les premières réactions et l’embarras de la hiérarchie militaire, le mystère à propos des notes retrouvées à l’intérieur de l’appareil, puis opportunément disparues, les traces détruites de l’impact d’une torpille avec ce qui restait de l’épave, les accords entre la Russie et les États-Unis, sont autant de faits qui laissent à penser que la thèse adoptée par le pouvoir tient de la manipulation et de l’écran de fumée, histoire de faire monter les enchères côté US.

L’absence de témoins directs ne pouvant contredire la version officielle, comme celle d’une enquête indépendante sur l’accident arrangeaient beaucoup de monde. La raison d’État prime évidemment sur la vie des personnes.

Il est vrai que la période est alors cruciale pour Poutine. De la mainmise sur l’armée, la presse, l’économie dépend son installation pérenne au pouvoir. Sa gestion de l’affaire du Koursk révèle alors un Poutine habile politique et autocrate. Sa politique, sans ambiguïté, annonce déjà son attitude lors de la prise d’otages dans le théâtre de Moscou par un commando tchétchène et, plus récemment, sa responsabilité au moment du massacre de Beslan. Ne pas céder et adopter une fermeté sans état d’âme : le refus de négocier et de prendre en compte la vie des civils.

Koursk. Un sous-marin en eaux troubles est un film « à tiroirs » qui aborde non seulement «  l’ascension » de Poutine depuis son arrivée au pouvoir avec mise en scène grandiloquente — The Czar is back —, mais aussi les coulisses et les enjeux des services secrets internationaux avec, finalement, l’enjeu suprême, celui de la suprématie des armes. Les coups fourrés des complexes militaro-industriels russe, états-unien, chinois et la course aux armements sont la clef de cet imbroglio qui a coûté la vie à 115 marins et mis en danger la planète.
D’ailleurs, le danger écologique reste présent car, comme le souligne Jean-Michel Carré, « on ne sait rien des restes de ces torpilles nucléaires gisant au fond de la mer des Barents ».

Pouvoir, profit et après nous le déluge… semble la devise des partis et grandes puissances en présence. Entre la concordance d’une politique, la réaction d’une presse censurée, le musellement des militaires et leur remise au pas par Poutine, le film réalise ce tour de force d’être à la fois une réflexion sur la politique russe, la menace nucléaire, l’information manipulée et les mensonges des États.

Restent deux questions majeures : une guerre mondiale a-t-elle été évitée et, surtout, que va-t-il se passer la prochaine fois ?

Programmation en janvier. « Ce type de projet, ce documentaire à contre-courant des thèses officielles » fait partie de la ligne éditoriale pour une « spécificité de France 2 » . Enfin (!) une télévision qui répond à une attente réelle du public pour ce type de documentaire d’investigation et de qualité. On imagine toujours une télévision nationale soumise aux pressions diverses — étatique, financière… —, et ce film prouve au contraire son indépendance. Alors, pour une fois, ne jetez pas la télé !

À suivre le samedi 4 décembre dans les Chroniques rebelles, en compagnie de Jean-Michel Carré .


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