Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Mon Colonel, film de Laurent Herbiet
Rétablir l’ordre dans les règles
Article mis en ligne le 15 décembre 2007
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

— S’il s’agit de rétablir l’ordre, aucune mesure n’est à priori exclue même si elle semble contraire aux grands principes du droit.
— Cela signifie, messieurs, que sans oser le dire les politiques nous laissent faire. Eh bien nous allons faire ! Tout se passera dans les règles.

1957, l’engrenage de la guerre d’Algérie — la “pacification” de l’Algérie comme on disait à l’époque — est en place.
Adapté du roman de Francis Zamponi et présenté en ouverture du festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, le film de Laurent Herbiet, Mon colonel , relate un épisode de la guerre d’Algérie et de sa mémoire enfouie jusqu’à aujourd’hui.

Un Colonel à la retraite, amnistié, est abattu à son domicile. L’enquête est ouverte.
Lorsqu’un étrange message parvient à l’état-major militaire, « Le Colonel est mort à Saint Arnaud », ainsi que le début du journal d’un militaire disparu au moment des “événements”, l’armée confie le suivi de l’affaire à une jeune militaire. Et c’est elle qui sera le fil rouge de cette histoire revisitée, le lien entre passé et présent. La découverte du journal de campagne de Guy Rossi, envoyé anonymement et par chapitres, dresse en effet un tableau bien différent de l’histoire officielle de cette guerre qui ne dit pas son nom.

S’installe ainsi, au-delà des époques, une correspondance des faits, des personnages. La jeune femme, en remontant le temps, avance au fur et à mesure dans les doutes et les compromissions du jeune aide de camp du Colonel. Étudiant en droit, Guy Rossi a pour mission d’analyser les possibilités qu’offrent les pouvoirs spéciaux votés à l’unanimité par l’Assemblée nationale. Autrement dit, à autoriser des mesures « contraires aux grands principes de notre droit » comme la torture, les exécutions sommaires et la terreur employée contre la population civile.

Rétablir l’ordre et garder l’Algérie dans le giron français signifie casser la résistance algérienne par tous les moyens. Et en bonne conscience puisque le colonialisme apporte les “bienfaits” de la civilisation à des populations sous-développées dont l’histoire, la culture et la créativité sont niées, occultées. La conquête de l’Algérie, depuis 1830, et ses chantres n’en finissent pas de se glorifier de l’intérêt du colonialisme. La loi du plus fort ne s’encombre pas, dans ce cas, des droits humains.

L’engrenage de la “pacification” de l’Algérie, vécue au passé et au présent, fait évidemment écho à la situation actuelle. Lorsque Rossi justifie par la « Loi du 6 mars 1956 sur le contrôle de la circulation des populations » le recensement des maisons et faire porter le numéro d’immatriculation à chaque habitant, le sous-préfet réplique : « Et pourquoi pas un mur ! ». On pense évidemment au mur de “protection” construit par le gouvernement israélien, de même que les méthodes d’interrogatoire nous renvoient à la lutte antiterroriste de Bush qui permet la torture et l’établissement de zones de non droit comme Guantanamo.

Et ce n’est pas le seul point car, au plan national, la problématique du colonialisme français est loin d’être réglée. Pour preuve, le projet de loi sur l’enseignement de l’histoire des colonies présenté en 2005. De même, la difficulté à faire reconnaître comme crime d’État la répression sauvage de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961. Et la liste est longue car la guerre d’Algérie est emblématique des guerres de libération, et son traitement de la mémoire collective est un véritable cas de figure de l’histoire officielle.

Cette coproduction française et algérienne, tournée à Sétif, Blida et Constantine est d’autant plus importante pour toutes ces raisons. Elle s’inscrit, après le film Indigènes (dont Michèle Ray-Gavras a également assuré la production) dans une démarche de reconnaissance symbolique et politique. Les mythes en prennent un coup. C’est un premier film sans concession, sur un scénario de Costa-Gavras et Jean-Claude Grumbert, qui souligne la responsabilité des politiques dans la sale guerre d’Algérie.
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