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Le cinéma d’Amos Gitai : images et métaphores (1)
Article mis en ligne le 24 septembre 2009

par CP

Présenté au festival international du cinéma méditerranéen, l’hommage rendu à deux trilogies d’Amos Gitaï [1], cinéaste documentariste et de fiction, a permis de découvrir les différentes facettes de son travail. L’œuvre d’Amos Gitaï se situe en effet sur plusieurs niveaux de l’imaginaire cinématographique, bien au-delà de la situation au Moyen-Orient bien qu’elle y soit profondément ancrée. Son travail documentaire, sur une longue période de temps, illustre à la fois une volonté de rigueur, de compréhension et le refus des amalgames : un regard critique et à contre-courant. Les trilogies de Wadi [2] et de House - tournées respectivement à Haïfa et à Jérusalem - permettent d’établir un lien chaleureux, de proximité, avec les personnes qui y participent et les témoins, en revenant sur les mêmes lieux pour en fixer l’évolution et analyser une situation, sans la juger.

La trilogie de la « maison palestinienne » est un microcosme de toutes les tensions. Le premier film, House tourné en 16 mm noir et blanc (1980), aborde l’histoire des réfugié-e-s et a été censuré en Israël. Le film touche en effet à un tabou, celui du territoire. La loi de 1948 - dite « Absentee properties  » (Loi des Absents) - stipulait qu’« à partir du moment où les habitants s’étaient absentés en 1948, leurs maisons ou leurs terrains devenaient propriétés de l’État  ». Cette « loi provisoire avec arrière-pensée politique  » faisait de toutes ces propriétés palestiniennes la propriété de l’État israélien, et cela jusqu’à un règlement futur et hypothétique du conflit. Les propriétés ainsi saisies étaient prêtées ou louées par l’État jusqu’en 1977, ensuite elles furent vendues, pour nombre d’entre elles, pendant le gouvernement de Menahem Begin. Dans le film House, Amos Gitaï recherche le propriétaire palestinien de la maison. Une tâche difficile car, dans les registres, le nom du propriétaire est généralement masqué par le tampon officiel. Il réussit cependant à retrouver le Docteur Dajani, né dans la maison, et sa famille. La scène du retour de cet homme sur les lieux, après trente-deux ans, est certainement l’une des plus émouvantes et donne la dimension du drame de l’expulsion vécue par la population palestinienne en 1948. House est le « film du commencement » de l’œuvre critique d’Amos Gitaï.

Une Maison à Jérusalem (1998) poursuit la réflexion, agrandit le cercle et élargit la perspective. Y est évoquée la problématique de la diaspora palestinienne et sa lassitude devant une situation qui se dégrade. Deux générations de la famille Dajani, le fils et la petite-fille, évoquent l’exil et l’impossible retour : «  La Palestine est comme une maison qui aurait changé de propriétaire. Les nouveaux propriétaires parlent de la façon de régler les problèmes, en laissant les anciens dehors  » (le fils).

News from Home, News from House (2006) poursuit la métaphore de la maison, mais en sortant de son périmètre, de la rue, du quartier, de la ville. Ce nouveau chapitre du documentaire chronologique construit une autre vision de la situation et de ses conséquences futures. Le film est devenu plus abstrait et coordonne en quelque sorte la recherche des réalités évoquées dans les trois films par les personnages et leur histoire.

La trilogie de la maison est un même film en trois chapitres : la rencontre et le constat avec House,
la complexité et la vision élargie dans Une maison à Jérusalem, et enfin la vision des problèmes bien au-delà de la maison avec News from Home, News from House. Les trois films se mêlent et pourtant présentent une évolution complexe l’un vis-à-vis de l’autre. Et le rôle du commentaire off est une mise en contexte de cette «  archéologie humaine. »

Lors de la présentation - durant le 28e festival du cinéma méditerranéen - de News from Home, News from House, Amos Gitaï revenait sur les raisons qui l’ont inspiré pour réaliser une trilogie sur la «  maison  » : «  Israël et le Moyen-Orient souffrent beaucoup des images trop simplistes médiatisées dans les journaux télévisés de la planète. C’est pourquoi j’ai voulu, dans ce film, faire un travail un peu subversif dans le sens de décomposer cette simplification, de poser des questions, de montrer les contradictions, de ne pas accepter le politiquement correct. Cela a toujours été mon attitude vis-à-vis de mon pays que j’aime sans être toujours d’accord avec sa politique. Mais là je crois être dans la tradition juive en tant qu’école critique. Il faut penser dans le sens de la continuité historique, mais pas dans le sens sentimental et nostalgique. L’histoire nous donne des indications sur le futur, comment recomposer, pour faire mieux et ne pas recommencer le même gâchis. C’est pourquoi la critique est nécessaire comme les questions, mais bien posées. Le cinéma doit créer son autonomie, son propre regard. C’est ce qui m’a inspiré dans tous mes films  »

Christiane Passevant : Le dernier film de la trilogie, News from Home/News from House, a une fin ouverte, comme les deux précédents, et cela laisse l’impression d’une suite à venir d’une nouvelle trilogie puisque le film aborde le problème fondamental de cet homme privé de permis de construire.

Amos Gitaï : Je ne sais pas. C’est bien qu’il y ait un décalage important de temps entre chaque chapitre. Pendant le dernier conflit avec le Liban, j’étais dans ma ville natale de Haïfa qui a été bombardée et des gens m’appelaient de partout en disant : « on est sûr que tu es dehors avec ta caméra  ». Mais non. Je n’ai pas toujours envie de filmer. Un tournage est quelque chose qui exige de la réflexion, pas de la précipitation. Le décalage dans le temps est essentiel pour cette trilogie métaphore/microcosme de House. Il faut chaque fois laisser du temps. Donc je ne sais pas si je ferai une suite.

Deux des trilogies documentaires sont à présent achevées — Wadi et House. Et chaque fois la question se pose : est-ce qu’il sortira quelque chose d’intéressant d’un nouveau chapitre ? Je ne peux pas dire que cela soit angoissant, mais en disant « voilà je vais faire un nouveau chapitre de House », je ne peux éviter la question : est-ce que le film sera aussi fort que les précédents ?

Dans ces deux trilogies, j’ai chaque fois été étonné par la qualité humaine des personnes qui, sorties de leur enclave, ont une vision très large de cette région et de son histoire. D’une certaine manière, elles représentent mon conseil des sages. On est souvent déçu par le niveau des hommes politiques de la région, mais dans ces films, les intervenant-e-s — d’origine différentes — font preuve d’une grande sagesse populaire et sont très émouvant-e-s.

Pour chaque projet de film — qu’il s’agisse de documentaire ou de fiction — se pose la question des héros. Il faut la confronter et la résoudre formellement, thématiquement. Pour revenir à ces trilogies documentaires, j’étais content de revisiter les lieux, de revoir les personnes, mais je me suis toujours demandé ce que cela produirait comme film.

Larry Portis : Vous montrez le fils du tailleur de pierres palestinien (personnage important de la trilogie) à la fin du troisième volet de House (News from Home/ News from House), cela répond-il à une chronologie du tournage ou bien le montage de cette séquence a-t-il été décidé ensuite ?

Amos Gitaï : Le montage de ce dernier chapitre, News from Home/ News from House, a été le plus long de ce que j’ai fait jusqu’alors. Il a duré six ou sept mois. Je cherchais une structure à la fois souple et qui me laisse faire des allers-retours dans le temps, une structure qui paraisse logique et cohérente. Les choses qui semblent les plus simples sont souvent les plus compliquées. Le film n’est pas monté dans la chronologie du tournage, mais dans une continuité géographique. Il commence à Jérusalem, va en Jordanie et revient à Jérusalem. C’est une sorte de boucle avec la dernière séquence et la sortie vers la vallée du Jourdain.

Je crois que la réalité du Moyen-Orient et que le rapport israélo-palestinien sont toujours tellement contradictoires qu’il faut toujours être à l’écoute.
Lorsque j’ai commencé les repérages (c’est une anecdote), je me souviens de la personne qui m’a parlé du village de Walaja où habite l’ancien tailleur de pierres. J’avais appelé la Natural Conservative Authority en Israël pour avoir quelqu’un qui connaisse le village palestinien. J’ai pris rendez-vous et, en arrivant, j’ai vu un homme avec une longue barbe, une kipa et des sandales bibliques et j’ai tout de suite pensé : « je sais ce qu’il va me dire  ». Mais pas du tout, il était contre la construction du mur à cet endroit et il voulait préserver le village, car il y a un ancien système d’irrigation datant de plusieurs siècles [3]. Tout en gardant ses opinions politiques, il avait une réelle connaissance de la région et il la respectait. Encore une fois, il faut rester à l’écoute sans avoir de préjugés rapides et faciles. Il faut laisser les gens être submergés par leurs contradictions et, d’une manière ou d’une autre, la vérité, les vérités vont apparaître. Il est inutile de se compromettre dans un manichéisme qui est déjà trop présent.

Fabrice Barbarit : Quelle a été votre réaction en retrouvant sur le chantier un ouvrier de la famille du tailleur de pierres ?

Amos Gitaï : C’est le côté génial du documentaire. Il y a comme ça des bijoux, des cadeaux que la réalité réserve et compose elle-même. Si on est sensible et à l’écoute, cela arrive et l’on en bénéficie. Si on applique la force avec une idée préconçue, on rate pas mal de choses. Cela demande une attitude duelle ; il faut à la fois un concept et l’idée du film, et aussi savoir comment le tourner. Ce qui non seulement suppose connaître pas mal de choses, avoir plusieurs types d’information sur l’histoire de la région et sur la géopolitique, mais aussi être disponible au moment du tournage et rester ouvert pour éviter toute forme de pré simulation. La réalité est toujours beaucoup plus riche, par exemple le nom de la rue où se trouve la maison, « Dor Dor Ve Dorshav  » (« chaque génération a ses maîtres  »), est authentique, je n’y suis pour rien.
Derrière la réalité, le contexte est tellement riche qu’il faut tenter de le déchiffrer, d’interpréter et d’écouter les coïncidences.

Larry Portis : Juliano Mer Khamis a joué dans plusieurs de vos films et j’ai remarqué le nom de Spartakus Khamis dans un de vos génériques. Êtes-vous lié à la famille Mer Khamis et avez-vous connu Arna Mer Khamis ?

Amos Gitaï : Je connais très bien Juliano Mer Khamis qui a joué dans quatre de mes films de fiction, depuis mon premier long métrage, Esther [4], qui est l’adaptation d’un texte biblique. J’ai tourné à Jénine dans le camp de réfugié-e-s, quand Arna était encore en vie. Juliano a utilisé une partie de ces images dans le théâtre du camp de réfugié-e-s [5]. J’ai fréquenté Arna pendant une vingtaine d’années. Je l’ai rencontré par Juliano et je suis allé chez elle à Allenby Street. C’était une femme magnifique, avec une très forte personnalité [6].

Christophe Gayraud : Pourquoi avez-vous réservé cette avant-première à Montpellier ?

Amos Gitaï : J’ai gardé un très bon souvenir de Montpellier, lors de ma première visite, il y a vingt ans. Il était juste qu’un film qui, par la nature des lumières, des pierres, qui touche la Méditerranée, soit présenté en avant-première à Montpellier, au festival du film méditerranéen [7].

Christiane Passevant : Vous avez dit dans un entretien [8] que le film documentaire montrait l’engagement du réalisateur plus que les films de fiction.

Amos Gitaï : Les films de fiction sont importants, mais malheureusement les documentaires ont souvent un sens d’infériorité vis-à-vis de la fiction. Et ce n’est pas juste. Ce sont des médiums, des moyens d’expression complètement autonomes. Le documentaire a une très grande histoire. En France, Le Sang des Bêtes de Franju (1949) [9], tourné après la Seconde Guerre mondiale dans une boucherie, décrit la vache qui entre et sort en saucisson. C’est à la fois un film documentaire concret et une métaphore de la guerre. Le cinéma documentaire a les moyens de donner ce type de métaphores. Mais parfois, il est trop orienté vers le reportage, style journal télévisé de 20 heures. Ce n’est pas la même chose, il perd alors de sa puissance. Certains films de fiction sont très forts, disent des choses qui dérangent. Cette possibilité existe, à mes yeux, dans les deux expressions. D’ailleurs, la fiction rejoint le documentaire dans le plan de fin de News From Home, News From House où l’on voit Nathalie Portman dans un extrait de Free Zone.

Christiane Passevant : Haïfa vous fascine car vous trouvez la ville non domestiquée, à l’inverse des autres villes. Haïfa a-t-elle été importante dans votre travail ?

Amos Gitaï : Par certains côtés, Haïfa est très construite, un peu comme Montpellier au Corum, et par d’autres côtés, elle n’est pas encore transformée en bijou touristique. Ce qui est remarquable à Haïfa, c’est que la ville a réussi à préserver un tissu de coexistence entre Juifs et Arabes depuis l’époque du mandat britannique. À cette époque, la ville était gérée par trois maires, anglais, arabe et juif. Les décisions étaient prises de manière consensuelle. Il reste peut-être encore quelque chose de cette coexistence entre des personnes d’origine différente. Souvent les rapports entre Juifs et Arabes, Palestiniens et Israéliens, sont conflictuels, mais à Haïfa, il existe d’autres formes de relations. L’expérience passe par le quotidien. Nous n’avons pas besoin de conférence de paix pour rencontrer des Palestiniens ou des Arabes, cela se passe au quotidien, dans les bureaux, les hôpitaux, les usines, et dans une coexistence pacifique.

Le quotidien est l’exemple le plus fort pour la paix parce que c’est une expérience partagée. Cela va au-delà des déclarations. Le Moyen-Orient est toujours sur un niveau déclaratif avec des points d’exclamation et trop souvent géré par le politiquement correct, par l’affichage. Ce n’est pas cela qui produira le changement. Il faut chercher un lien, un point de rencontre à travers des expériences communes de la vie, pour gommer la haine et la méfiance. Haïfa est dans cette option.

Larry Portis : Il est difficile de contrecarrer le carcan institutionnel pour encourager d’autres rapports. Il y a quelques années, on parlait souvent en Israël de société post-sioniste [10]. En parle-t-on aujourd’hui ?

Amos Gitaï : Le débat est compliqué. Le problème vient en partie des porteurs de ce débat — comme Azmi Bishara [11] — qui deviennent nationalistes. Comme il ne s’agit que de mots lancés, ils perdent de leur signification. Je suis contre les étiquettes trop fortes car les mots perdent de leur sens et l’on finit par dire n’importe quoi.

De toute façon, le projet du mouvement sioniste, la création de l’État d’Israël, est en quelque sorte achevé. Il existe. Ensuite, quelles que soient les opinions, on peut créer un espace pour une autre forme de relation. Mais c’est tellement compliqué et contradictoire. Au Moyen-Orient, les coalitions changent sans cesse. Qui parle et avec qui ? Un exemple : les accords d’Oslo. La BBC a dernièrement diffusé un reportage très intéressant (pour une fois), avec cette façon anglaise, très sèche. À l’époque des accords, avait lieu au Liban une opération militaire israélienne très féroce. Au même moment, les représentants de la Palestine et d’Israël se rencontraient à Oslo pour trouver un accord israélo-palestinien. C’est une illustration de l’hypocrisie, d’un côté le bain de sang et, de l’autre, des négociations dans un bel hôtel.

Il faut toujours se méfier du double et du triple langage. Le rapport de force est utilisé comme moyen de négociation, de même que les fausses déclarations. Tout existe, c’est un souk complet. Le seul signe qui, peut-être, montre une ouverture, c’est que les questions concernant les territoires occupés, les réfugié-e-s, Jérusalem, parties à l’origine du « if » (si) en sont à présent au « how much » (combien). Dans le destin torturé du Moyen-Orient, c’est une petite avancée. Les négociations utilisent des instruments différents, certains brutaux - les ripostes -, d’autres plus diplomatiques, directs et indirects.

Le Moyen-Orient est à un stade de l’émergence de nations. L’Europe — donneuse de leçons à la planète - a vécu des guerres pendant des centaines d’années avec des millions de morts, des massacres pour établir des frontières, que l’Alsace soit du côté français et le Tyrol du côté italien. Cela a été un processus long et brutal. Je crois que nous, Juifs, Arabes, Palestiniens, Israéliens, ensemble, sommes finalement modérés vis-à-vis du modèle européen. Et j’espère que nous le resterons sans basculer dans la sauvagerie. Le Moyen-Orient dessine ses frontières depuis moins d’un siècle. Les Accords franco-britanniques Sykes-Picot datent des années 1920 [12] et l’État d’Israël de 1948. L’identité palestinienne, le désir de « nation », sont récents. Toute cette force est légitime, mais ils n’ont pas encore trouvé de configuration territoriale, identitaire, ni l’organisation régionale. Les Européens doivent cesser de regarder les Israéliens et les Palestiniens comme des extra-terrestres. Nous sommes dans une phase non synchronisée. Les Israéliens, les Palestiniens, Les Syriens, les Jordaniens, Les Kurdes définissent les formes de leur identité, leur rapport au territoire. Il faut souhaiter que cela soit le plus rapide possible. Pourquoi, en effet, tuer des individus et gaspiller les ressources ? Mais c’est cela le phénomène.

Larry Portis : Dans le second volet de House, on peut se demander si les rencontres avec les Étatsuniens sont fortuites (la femme avant le bain rituel, l’homme devant la maison). On dit souvent que la clé du problème dépend des Etats-Unis ?

Amos Gitaï : Je ne le pense pas et c’est trop facile. Nous sommes responsables, Israéliens, Palestiniens et monde arabe, de notre destin. Si nous voulons la paix, nous l’aurons même si la première puissance mondiale fait obstacle. Il y a certes des intérêts variés, mais il ne faut pas évacuer notre haute responsabilité.

Ceux qui, ici en France, collaboraient avec les nazis sous l’Occupation sont responsables, ce n’est pas uniquement la faute des nazis. Ceux qui veulent continuer la guerre sont responsables, ceux qui achètent des armes au lieu de la nourriture sont responsables. Il ne faut pas déléguer les responsabilités, c’est trop facile. Il est vrai que les grandes puissances manipulent la région, mais il faut assumer nos responsabilités.

Christiane Passevant : Dans vos derniers films de fiction, le rôle des femmes semble de plus en plus important. On a l’impression qu’elles sont les seules à avoir des repères. Les hommes, en revanche, semblent perdus.

Amos Gitaï : Le conflit est géré par le masculin. Les généraux, les chefs de gangs, tous sont des hommes. Et je me suis alors posé la question : si on passe le pouvoir aux femmes, ce serait peut-être positif ? Je ne pense pourtant pas qu’il y ait quelque chose de mieux dans les composantes basiques chez les hommes ou chez les femmes. Mais puisque dans ma société, au Moyen-Orient, les femmes n’ont pas suffisamment de droits et de place, j’ai envie de poser la question.

Christiane Passevant : Ce n’est pas seulement le cas dans la société israélienne ?

Amos Gitaï : C’est le cas dans toutes les sociétés, mais les sociétés en conflit accordent beaucoup d’importance aux chefs militaires, et les systèmes sont gérés par les hommes. Mais cette année, au festival, des films israéliens montrent des femmes militaires alors j’ai peut-être tort.

Christiane Passevant : Deux films parlent en effet du système militaire, de la militarisation en Israël et sont réalisés par des femmes : Un long métrage en compétition, Close to Home/Une jeunesse comme aucune autre, de Dalia Hager et Vidi Bilu et un court métrage de Talya Lavie, La relève [13].

Larry Portis : Dans une société militarisée, la dominance est masculine.

Amos Gitaï : C’est vrai, J’ai parlé avec des Palestiniennes qui étaient dans l’Intifada. Et elles m’ont dit : « Pendant la première Intifada, la société nous a accordé de la valeur, maintenant l’Intifada finie, il faut rentrer à la maison, faire la cuisine et des bébés.  »

Fabrice Barbarit : Qu’est-ce qui est le plus important pour vous : le travail d’archéologue ou celui d’architecte [14]

Amos Gitaï : J’ai employé là une métaphore. L’archéologue expose, veut exhumer et dépoussiérer quelque chose de caché. C’est un travail délicat parce que, au bulldozer, on détruit les structures précédentes. Il faut procéder avec délicatesse. Si j’étais allé chez l’ouvrier palestinien ou chez le propriétaire israélien en fonçant, je n’aurai absolument rien obtenu, sinon une opinion prédéterminée, sans plus. Il faut de la sensibilité et être ouvert.
Dans la fiction, on construit un film depuis une idée, il est donc possible d’être plus direct. La réalisation de documentaires et de fictions nécessite deux attitudes différentes. Ces métaphores de l’archéologue et de l’architecte sont complémentaires, mais la méthodologie est différente.

Laissez-moi vous raconter une anecdote sur le rôle du cinéma. L’été dernier, l’institut du cinéma norvégien m’a invité pour parler de leur cinéma. Je ne connaissais pas ce cinéma, mais devant leur insistance, j’ai visionné de nombreux films. À Oslo, lors de la conférence de presse, un journaliste m’a demandé mon avis sur les films norvégiens. J’étais embarrassé. Je ne voulais pas, en tant qu’invité, être trop critique. Alors j’ai répondu que dans un pays aussi magnifique que la Norvège — c’est un des plus beaux pays que j’ai visité —, est-il besoin de cinéma ou même d’art ? En ouvrant la fenêtre, la vue est si belle, alors que peut-on faire de mieux ?

Si l’art a une fonction de guérison dans les sociétés, il n’y a rien à guérir en Norvège. Le journaliste m’a dit que j’étais gentil et qu’il était plus sévère.


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