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Un cinéma méditerranéen politique et engagé
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 20 janvier 2010
dernière modification le 4 juillet 2010

par CP

Le 31e Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier s’est distingué par une cohérence politique dans le choix des films présentés. Cette année, c’est un cinéma qui s’affirme plus engagé dans une volonté de changement des sociétés dont il est issu. Comme l’a déclaré Ariane Ascaride [1], présidente du jury de l’Antigone d’or pour la compétition des longs métrages de fiction, « Les constats sont faits. Il est temps de bouger. » Effet de la crise sur les œuvres cinématographiques ? Il est certain que le cinéma est souvent une vitrine sociale et le reflet des luttes comme des questions inhérentes au plan local, régional ou universel. Et ce 31e festival en est une illustration tant l’impression dominante est la prise de conscience des cinéastes de cette Méditerranée élargie.

Chaque année, le festival accompagne le travail des artistes dans toute leur diversité et spécificité, qu’il s’agisse d’artistes reconnus, confirmés ou de cinéastes dont le travail n’a pas encore eu l’opportunité d’être présenté à un très large public. Toutes les démarches artistiques sont dans la sélection de l’équipe du festival et c’est l’éclectisme de ce choix qu’il faut encore une fois saluer pour le travail et la recherche que cela représente. Un choix où la passion a sa place de même que la difficulté de sélection devant la diversité des œuvres proposées.

L’engagement et la prise de conscience que l’on retrouve à divers degrés dans de nombreux films ont, cette année, été récompensés puisque les différents jurys ont salué à la fois la forme, mais surtout le fond des œuvres sélectionnées.

Le jeune jury a couronné Canine de Yorgos Lanthimos [2], allégorie sur le totalitarisme, en le distingant comme un film sur la « dictature » et le prix de la critique est allé au remarquable long métrage de Chus Gutiérrez, Retorno a Hansala (Retour à Hansala) [3] qui dit l’horreur et l’absurdité des lois contre l’immigration. La mondialisation a créé des frontières, des barrières qui font de la Méditerranée un tombeau pour des dizaines de milliers de candidats et candidates au départ vers l’espoir d’un avenir moins misérable.

De jeunes émigrés marocains se noient à quelques mètres du rivage espagnol. Le film commence avec la noyade, caméra suggestive accompagnée par une bande son troublante de réalisme. Pas d’abstraction dans ce film, ni d’ellipse, c’est une réalité clinique. Les cadavres échouent sur la plage et commence alors le périple funéraire des corps, quand ils sont reconnus. Toute la brutalité d’une réalité ordinaire et insupportable est là, dans un film d’une réalité et d’une rigueur impressionnantes : les conséquences de l’inhumanité de lois arbitraires, la morgue, l’identification des corps, les vêtements à trier, le coût du transfert funéraire, les tracasseries administratives en Espagne comme au Maroc, le décalage culturel entre les rites mortuaires.

Leila, sœur de l’une des victimes, prévenue par le responsable des pompes funèbres, décide de ramener le corps de son jeune frère au village, à Hansala. L’odyssée du retour se transforme peu à peu en un voyage initiatique pour ce professionnel de la mort, Martin, qui ignore tout du Maroc et de sa population. Pourtant le Maroc est si proche de l’Espagne, les deux pays ne sont séparés que par un détroit meurtrier, le détroit de Gibraltar. Confronté à cette autre culture, de surcroît dans un moment très particulier, celui de la période du ramadan, Martin est déstabilisé et de plus en plus en rupture avec lui-même et sa vie personnelle.
Sur la route, il croise la délinquance, puis la solidarité des Berbères dans la montagne, près de Beni Mellal.
Retour à Hansala montre les raisons de cette immigration « forcée » par les conditions économiques et le manque de perspectives pour les jeunes Marocain-es. Les conséquences graves et profondes de la situation économique génèrent cette hécatombe d’individus qui, coûte que coûte, tentent le voyage.

La Méditerranée est devenue un tombeau, c’est aussi le sujet du film de Merzak Allouache, réalisateur de Harragas [4], projeté en avant-première à Montpellier. Le film traite de la préparation du voyage, des difficultés et des dangers qu’il engendre avant même de partir d’Algérie. Les « brûleurs », ce sont ceux qui veulent fuir la misère et le chômage et l’on avance le chiffre de 90 % des jeunes prêts à tenter l’impossible pour partir d’un pays qui, à leur yeux, est devenu une prison.
Le voyage commence à Mostaganem, mais l’aventure tourne mal et le bateau devient radeau. Le tournage lui-même s’est fait dans des conditions extrêmes, en situation, entre Mostaganem et Frontignan.

Une autre caractéristique de ce festival, que l’on retrouve dans de nombreux films, c’est la représentation des femmes. Réalisatrices, comédiennes, chefs opératrices, personnages féminins matures et volontaires… Les schémas habituels sont mis en distanciation avec des modèles qui paraissent prendre en compte une autonomie revendiquée et assumée. Le film d’ouverture du festival est, de ce point de vue exemplaire.

Agora d’Alejandro Amenàbar [5] est le récit de la vie d’une femme, Hypatie, philosophe et astronome, ayant vécu au IVe siècle de notre ère à Alexandrie. Femme brillante et hors du commun, alliant plusieurs cultures, Hypatie est incarnée par Rachel Weisz totalement crédible dans ce rôle de femme cultivée, passionnée de science et stoïque devant le pouvoir, le fanatisme et la mort.

Une ouverture de festival particulièrement ancrée dans l’histoire méditerranéenne, trouble et agitée, des premiers siècles après Jésus Christ, en l’occurence fort mal connus. Situé à la jonction d’une fin de civilisation et d’un nouveau cycle, le film est imprégné de l’univers méditerranéen et transmet le foisonnement des cultures qui l’habitent.

Dans les sélections fiction et documentaire, deux films égyptiens tournés au Caire, poursuivent l’analyse du monde méditerranéen aujourd’hui : le documentaire de Saad Hendawy, Sujet tabou [6], et le long métrage de fiction de Kamla Abu Zekri, Un-zéro [7]. Sujet tabou est une enquête sur l’opinion des personnes concernant les droits des femmes à la sexualité. La virginité des filles étant sacralisée et généralement considérée comme l’honneur de la famille et qu’il faut sauver à toute force, même si cela exige de commettre un meurtre. L’intégrité d’une femme se résumant à la conservation de son hymen. Les réponses, toutes générations mêlées, sont confondantes. Et l’intervention d’une sociologue, travaillant avec des groupes de femmes, est nécessaire pour prendre de la distance dans un constat plutôt pessimiste de la réalité. Un-Zéro, c’est le score de la finale de la Coupe d’Afrique des nations de 2008. L’ambiance de cette journée, avant le match, sert de « décor » au déroulement du film de Kamla Abu Zekri dans lequel huit personnages vivent des événements qui remettent en question leurs certitudes. Histoires croisées, classes sociales différentes, le film tente un tableau de la société actuelle égyptienne dans un contexte de liesse populaire. Les personnages féminins ont là aussi un regard sans complaisance sur la condition des femmes dans leur société.

Le cinéma grec n’est pas en reste pour bousculer les valeurs traditionnelles avec Strella de Panos H. Koutras [8]. La prison et le milieu transsexuel… Une histoire de famille comme une tragédie grecque moderne.

Quant au cinéma italien, il confirme son retour avec plusieurs films inscrits dans une démarche originale. Lo Spazio bianco de Francesca Comencini [9] met en scène une femme autonome, prise entre son besoin d’indépendance et son désir d’enfant. Maria attend la naissance de sa fille. L’enfant, née avant terme, doit rester en couveuse et il faut attendre pour savoir si l’enfant est viable. Peu à peu, Maria s’enferme dans cet espace blanc de l’hôpital et de l’attente. Autre film d’une réalisatrice, Cosmonauta de Susanna Nicchiarelli [10] qui se situe au moment de la course à la conquête de l’espace du début des années 1960. Arturo et Luciana sont frère et sœur et soutiennent avec enthousiasme les cosmonautes soviétiques. Cependant, leurs rapports évoluent lorsque Luciana s’intéresse au monde extérieur.

Fortapàsc de Marco Risi [11] est tiré d’un fait divers tragique, l’assassinat par la mafia, en 1985, d’un jeune journaliste d’investigation. Giancarlo Siani travaillait notamment sur les magouilles de l’un des chefs mafieux, Valentino Gionta, impliqué dans une affaire juteuse de reconstruction. Le film a remporté le prix du public.

Enfin Phalènes d’Arce Andrès Ataualpa [12] est un premier film qui fait le pari d’un cinéma indépendant et expérimente l’unité de temps, une nuit, et de lieu, un port. Deux amis se retrouvent un soir sous la lumière d’une lampe du port. La scène est un peu irréelle, comme hors du temps. Ils attendent quelqu’un, quelque chose, on l’ignore. la conversation est vaine, ils parlent de Paris, de connaissances, de vie désirée, rêvée, fantasmée… Rêve et vide. Une expérience de cinéma direct et la volonté de trouver un langage différent.

« Comment a-t-on pu oublier un auteur majeur du cinéma italien comme Elio Petri ? » se demande Henri Talvat dans sa présentation de la rétrospective des films d’Elio Petri. La possibilité rare de voir neuf des douze films de Petri a été un des clous de ce festival. Des films plus ou moins oubliés, ne figurant qu’exceptionnellement dans les reprises, pourquoi ? Trop dérangeant Elio
Petri ? Trop critique ?

Il est vrai que ses films, depuis le premier, l’Assassin (1961), sont de véritables coups de poings et n’ont certainement rien de consensuel. Todo Modo (1976), La Dixième victime (1965), À chacun son du (1967), La Classe ouvrière va au paradis (1971), Un coin tranquille à la campagne (1969) ou encore le magnifique Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) sont tous des attaques du système et annonciateurs de dérives médiatiques et de crises politiques. Films d’auteur, films populaires, des films assurément sulfureux et singulièrement toujours aussi novateurs dans le récit filmique.

Le documentaire, Elio Petri, notes sur un auteur, de Stefano Leone, Federico Baci, Nicola Guarneri, analyse à travers les témoignages de Vanessa Redgrave, Bernardo Bertolucci, Franco Nero, Robert Altman, et des interviews de Petri comment l’œuvre du cinéaste « s’est concentrée sur une série de personnages qui, avec leurs névroses, leurs problèmes mentaux et leurs phobies révèlent à différents niveaux comment la répression de la société capitaliste a un impact sur l’individu ». Une démonstration percutante qui, à travers ses films, n’a peut être pas été égalée depuis. L’humour noir et la critique acerbe étant servis par un casting et le jeu impressionnant des comédien-nes.

Le cinéma italien a-t-il encore cette puissance subversive que l’on retrouve dans les films d’Elio Petri ? La découverte ou la redécouverte de ce cinéaste laisse perplexe quant à la réponse à cette question. La présence de Paola Petri et de Jean Gili ont permis des débats autour des films de Petri, rassemblés pour la première fois dans un festival, et de mesurer l’importance de son cinéma dans le contexte de l’époque et son originalité toujours aussi marquante.

Découvrir Vincere de Marco Bellocchio [13] en avant première dans ce 31e festival qui rendait hommage à Elio Petri, était en quelque sorte une suite logique. Vincere se déroule avant la Première Guerre mondiale, au début de la carrière politique de Benito Mussolini. Il est alors journaliste et socialiste militant lorsqu’il séduit une femme, Ida Dalser, qui n’hésitera à vendre tous ses biens pour lui permettre de faire paraître son journal. L’épouse-t-il en secret ? Les preuves de ce mariage disparurent et l’histoire officielle occulta cette liaison et le fils, Benito Albino, qui en naquit. Durant toute sa vie, Ida Dalser cherchera à faire reconnaître sa légitimité d’épouse du Duce et sera finalement enfermée dans un asile et séparée de son fils. L’histoire officielle s’accomode mal de cette perturbatrice et de l’image d’un Duce bigame. L’ambiguïté du personnage de Mussolini, son charisme sur un auditoire et sa duplicité sont servis par le jeu complexe du comédien qui interprète également son fils à l’âge adulte. Bellocchio, grâce à sa connaissance de l’univers psychiatrique, réussit là un film poignant qui n’est pas sans rappeler la Nourrice (1999), par la situation de deux femmes se heurtant à une fatalité qui les broie.

Récompensé pour Retour à Hansala de Chus Gutiérrez [14], le cinéma espagnol, était aussi mis à l’honneur par une rétrospective du nouveau cinéma fantastique espagnol permettant de revoir des films, distribués en France, ceux de Guillermo del Toro, L’échine du diable (2001) et Le Labyrinthe de Pan (2006), ou ceux d’Alejandro Amenabar, Ouvre les yeux (1997) et Les Autres (2001), et d’en découvrir de nouveaux comme L’Orphelinat de Juan Antonio Bayona (2007) ou Les Proies de Gonzalo López-Gallego (2008).
En prime, une « nuit en enfer » avec cinq films d’Alex de la Iglesia présentée par le réalisateur lui-même, Acción mutante (1992), Le Jour de la bête (1995), Perdita Durango (1997), Mes Chers voisins (2000) et 800 balles (2002), achevant en beauté ce tour d’horizon du fantastique espagnol.

Dans un genre différent, La bonne nouvelle d’Helena Taberna [15] évoquait la mémoire de la révolution espagnole et du basculement dans la guerre civile. 1936, Miguel est nommé curé dans un village dont le maire est républicain. Les nationalistes, sous les ordres d’un officier de la Phalange, reprennent et occupent le village, c’est alors que les délations et les assassinats se multiplient. Le jeune prêtre tente de s’opposer aux exécutions sommaires, marque les lieux des charniers, mais se heurte à la hiérarchie ecclésiastique et militaire. Il organise aussi une coopérative pour les femmes du village et se lie d’amitié avec l’institutrice dont le mari a été victime des premières liquidations.

Forasters de Ventura Pons [16], cinéaste catalan connu depuis son premier film, Ocaña (1977), s’attache à la reproduction d’une situation dans le temps et donc à la mémoire. Dans un même espace, l’appartement familial, deux personnages féminins, mère et fille, se confondent et vivent les mêmes épreuves, la maladie… Cependant quarante années séparent ces deux moments qui présentent une constante : la peur de l’autre, de l’étranger.

Sur l’autre rive de la Méditerranée, le cinéma turc nous donne à découvrir les talents des cinéastes qui composent le renouveau de cet art toujours aussi prolixe. Men on the Bridge de la jeune réalisatrice Asli Özge [17], sélectionné en compétition, est une plongée dans la ville d’Istanbul à travers trois hommes. Fikret vend des roses à la sauvette sur le pont qui enjambe le Bosphore et relie l’Asie à l’Europe ; un chauffeur de taxi, Umut, traverse le pont tous les jours et aux problèmes de son couple ; et enfin Murat, policier de la circulation sur ce même pont qui, chez lui, surfe sur Internet à la recherche d’une femme. Men on the Bridge.

Dans My only sunshine de Reha Erdem [18], la présence de l’eau cerne entièrement le film. Hayat, quatorze ans, attend son père au bord du Bosphore. Elle vit avec ce dernier et son grand-père malade à Istanbul, mais n’a quasiment pas de rapport avec sa mère. La responsabilité de la maisonnée repose sur cette adolescente qui aborde le difficile passage à l’âge adulte. Reha Erdem avait présenté en 2006 au festival une très belle chronique villageoise, Des temps et des vents.

Dans cette esquisse du renouveau du cinéma turc ont figuré Voyage vers le soleil de Yesim de Günese yolculuk (1999), Innowhereland (2001) et Riza de Tayfun Pirselimoglu (2007), En attendant le paradis de Dervis Zaim (2006) et deux films de Nuri Bilge Ceylan, réalisateur des trois singes (2008), Nuages de mai de (1999) et Uzak (2003).

La Syrie, pays voisin de la Turquie, livre cette année un très beau film politique, La nuit longue de Hatem Ali [19]. Film noir qui, à travers, la vie de quatre prisonniers politiques, traite de la prison et des conséquences sur la vie non seulement de ceux qui ont directement subi l’incarcération, mais aussi de la famille de ces derniers. L’exil politique, l’éloignement familial, la marginalisation intellectuelle… Comment finalement vivre la soudaine liberté et comment supporter cette longue nuit qui n’en finit pas. Trois hommes sur quatre sont libérés. Le film a été interdit à sa sortie.

In the Land of Wonders de Sorak Dejan [20]
ou Alice au pays du cauchemar. Dans un paysage désolé une fillette collecte avec son oncle les débris de la guerre. Les conséquences d’un conflit sur les individus et en particulier sur une enfant. Mais est-elle encore une enfant dans ce pays détruit ? Le père a été tué, la mère est dépassée et par avance victime de la situation. Alica est la plus mature devant la maladie et le gâchis engendré par la guerre.

Après la guerre, c’est l’immigration dont il est question pour échapper à un pays qu’ils/elles ressentent comme un enfermement. Honeymoons de Goran Paskaljevic [21] met en scène deux jeunes couples qui tentent de construire une vie ailleurs. Cette première coproduction entre la Serbie et l’Albanie n’épargne rien des problèmes de la violence, du racisme et des tensions qui touchent les protagonistes du film. Goran Paskaljevic est le réalisateur de Songe d’une nuit d’hiver, très beau film qui explore la Serbie d’après-guerre et s’est vu décerné le Grand Prix du Jury à Saint Sebastien en 2004 et l’Antigone d’or à Montpellier.

9:06 d’Igor Sterk [22] est un film policier très particulier puisqu’il traite d’une introspection sous forme d’enquête policière. On ne sait plus, au cours du film, qui est le suicidé et qui mène l’enquête. Un homme disparaît et l’inspecteur, chargé d’élucider le mystère, va peu à peu intégrer le personnage du disparu. Il s’installe dans l’appartement du mort, rencontre sa petite amie, son ami… Une enquête et un changement d’identité, mais jusqu’où ?

Plébiscité par le jury, Ajami de Scandar Copti et Yaron Shani [23] est en 2009 le film récompensé par l’Antigone d’or. Premier long métrage de ses deux coréalisateurs, qui a reçu une mention à la Caméra d’or au festival de Cannes (2009), Ajami se déroule à Jaffa, en Israël. Si plusieurs communautés s’y côtoient, les tensions n’en sont pas moins fortes et la violence sur le point d’éclater à chaque instant. Une société qui reflète la déliquescence des rapports entre ces communautés et cela s’exprime par le repli, l’affrontement, la vengeance et le racket.
Nasri, adolescent de treize ans, est le narrateur de cette tragédie ordinaire et des événements qui s’enchaînent inexorablement. Il dessine les personnages, son frère aîné Omar, la peur de la famille à la suite d’un règlement de compte dont elle est innocente. Malek, un jeune réfugié Palestinien venant de Naplouse travaille illégalement en Israël pour financer l’intervention chirurgicale de sa mère. Binj, Israélien palestinien, tente d’oublier le contexte de la situation et rêve de faire sa vie avec la femme qu’il aime, qui est israélienne. Un policier israélien, dont le frère a été tué dans les territoires occupés, ne pense qu’à le venger… Histoires croisées, perpectives temporelles se chevauchant et visions différentes de l’enchaînement des situations ajoutent à l’impression de fatalité à laquelle les protagonistes de ce récit semblent condamnés. Occupation, discrimination et intégration illusoire dans une société basée sur la peur et la tension.

Plusieurs courts métrages à distinguer, notamment celui qui a reçu le Prix Canal+, Lui, il ne ferait jamais ça (El nunca lo haria / He Would Never Do it) d’Anartz Zuazua (Espagne). C’est une vision décapante et humoristique du traitement des personnes âgées qui fait sourire, mais jaune ! Et qui n’est pas sans rappeler une scène de la Dixième victime d’Elio Petri, lorsque le héros cache ses parents « pour ne pas les rendre à l’État ». Autre situation et même prémisse : que faire des vieux ? Dans ce court métrage, ils sont placées dans des refuges, comme les animaux à la SPA, en attendant une éventuelle adoption ou bien abandonnés dans la nature quand on ne veut plus d’eux. L’Aide au retour de Mohamed Latrèche (France) met en scène une famille serbe, sans papiers, et risquant l’expulsion. Depuis la mise en place d’un arsenal de lois sur l’immigration, de nombreux films traitent de la détresse des étrangers vivant des situations dramatiques. L’Aide au retour, c’est le droit d’asile refusé d’avance ou comment se débarrasser de ces « étranges étrangers » pour reprendre l’expression de Prévert.

Caviar (Icre negre) de Razvan Savescu (Roumanie) est le récit d’un voyage à Bucarest d’un père et sa fille, la veille de Noël. Le père livre du caviar pour le réveillon à une femme très aisée et Ioana ne rêve que du chien que son père lui a promis pour Noël. C’est également l’hiver à Lisbonne pour Un jour froid (Um dia frio / A Cold Day) de Claudia Varejao (Portugal) où, durant une journée la caméra suit les membres d’une famille. Le Grand prix du court métrage de la Ville et de l’Agglomération de Montpellier lui a été décerné.

Deux courts métrages ont choisi de montrer la situation dans les territoires occupés palestiniens. Il s’agit de Diplôme (Diploma) de Yaelle Kayam (Israël) qui a reçu le Prix Cine Cinecourts CINECINEMA et Oranges, de Maha Assal (Palestine) qui a été choisi pour le Prix jeune public Ville de Montpellier. Deux films sur l’occupation israélienne et ses conséquences sur la population traitent de la vie quotidienne. Des événements banals revêtent soudain un caractère exceptionnel et les difficultés s’accumulent. Assister à la remise des diplômes dans son université devient alors, pour une jeune Palestinienne et son frère, illégal et dangereux. Diplôme a pour cadre Hébron au moment de la fête de Pourim.

La compétition des documentaires, catégorie récente à laquelle est associée la médiathèque Fellini, a offert une palette de films dont les sujets étaient graves et profondément impliqués dans l’essentiel d’un questionnement. La cinéaste Neta Efrony [24], avec Kalandia, histoire d’un poste de contrôle (Kalandia - A Checpoint Story) de Neta Efrony (Israël), a choisi de filmer pendant six ans le poste de contrôle militaire israélien, sur la route de Jérusalem-Est à Ramallah. De simple checkpoint au début du film — Kalandia est un passage obligé et essentiel pour l’éducation, la santé et l’économie palestinienne —, le point de contrôle voit se multiplier les tracasseries et les humiliations vis-à-vis de la population et le chantier du mur avance. Le film donne la parole à ceux et celles qui attendent chaque jour, parfois pendant des heures, pour se rendre à l’université, sur un lieu de travail, pour se faire soigner, et tente, par cette présence continue dans le temps, de montrer l’arbitraire et l’absurdité de la politique israélienne. Kalandia, histoire d’un poste de contrôle constitue un « document puissant qui expose le mécanisme de l’occupation » et son caractère contre productif. Il ne s’agit pas là de protéger une population vis-à-vis d’une autre, mais plutôt de pousser à bout la population palestinienne.

Familystrip de Lluis Minarro (Espagne) paraît improvisé dans le naturel. Les parents du réalisateur et lui-même posent pour un tableau de famille et, à travers les propos échangés, d’abord anodins, c’est l’histoire d’une génération qui transparaît et sa mémoire. Sujet tabou de Saad Hendawy (Égypte) franchit des interdits dans le questionnement des coutumes et des non dits, d’où son importance comme document sur la société actuelle égyptienne. La chorégraphie qui ponctue les témoignages et l’enquête menée dans le film devient au fur et à mesure une illustration, comme un repère, de la violence faite au femmes dans une société patriarcale qui nie leurs droits. Acqua in Bocca de Pascale Thirode (France) a reçu le Prix Ulysse pour l’intimité de ce voyage initiatique et familial.

Le Village avec un seul habitant (Semaan bil day’ia) de Simon El Habre (Liban). Semaan vit seul dans sa ferme du hameau de Ain el-Halazoun, dans les montagnes du Liban. À travers les saisons, on découvre le village et l’on imagine ce qu’il était avant sa destruction, lors des combats de la guerre civile entre 1975 et 1990. Sa ferme est peut-être la seule encore debout dans le hameau déserté. Malgré la paix, le village n’a pas été reconstruit. Le film a été censuré à sa sortie.

Avec Les Damnés de la mer (The Damned of the Sea), Jawad Rhalib (Belgique) signe un film engagé qui dresse un tableau sans concessions de la situation sociale des pêcheurs d’Essaouira qui a été l’une des plus grandes villes portuaires marocaines pour la pêche aux sardines. Les méfaits de la mondialisation, explication sur le terrain.

Dans la sélection « Filmer en région », le documentaire de Laure Pradal, Le Village vertical, illustre à merveille l’un des rôles du documentaire engagé. Elle a filmé durant plusieurs mois l’une des dernières tours de la région, la tour d’Assas, qui a pour caractéristique qu’elle est en grande partie habitée par des familles originaires de la région du Dadès, au Maroc. L’attachement des locataires à cette tour contraste singulièrement avec l’abandon des autorités de la ville qui en néglige l’entretien en espérant sans doute décourager la résistance des habitants. Une cité ? Certainement pas répondent les jeunes, « c’est un village ». La tour d’Assas, c’est un « village vertical ».

Ce 31e festival a répondu aux attentes d’un public divers, tant par l’offre des nouvelles productions que par les rétrospectives destinées à ne pas « oublier l’histoire puisque sans elle nous sommes condamnés à errer dans le labyrinthe du minotaure audiovisuel » comme le souligne Henri Talvat, président du festival. La tentative de faire connaître, avec 239 films, la création cinématographique du pourtour méditerranéen est une belle réussite et la promesse de Jean-François Bourgeot est tenue de « faire remonter […] ce bel acte politique que constitue encore souvent, dans sa forme sublime ou maladroite, le film. » Il faut également souligner que le 31e festival marque une évolution dans la distribution à venir, en effet plusieurs films, présentés en compétition et en panorama, seront dans les salles en 2009 et 2010.

Le festival s’est achevé par Tetro de Francis Ford Coppola en avant-première, nouveau film du réalisateur qui renoue avec un superbe noir et blanc qu’il affectionne, pour mémoire cet autre très beau film sur la famille, Ramble Fish (Rusty James / 1983).
Et en bonus le lendemain, furent projetés une série de classiques le le magnifique film de Tomás Gutiérrez Alea, La Mort d’un bureaucrate [25] ou, en clôture, Le Fanfaron de Dino Risi
 [26]. Oui, décidément, un festival 2009 du cinéma méditerranéen politique et engagé.