Chroniques rebelles
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Walter. Retour en résistance. Film documentaire de Gilles Perret
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 20 janvier 2010
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

Le documentaire de Gilles Perret [1] pose la question de la résistance aux dérives autoritaires et fascistes du pouvoir, tant dans le passé qu’aujourd’hui.

Le portrait d’un très jeune résistant au régime de la collaboration, Walter Bassan, dans les années 1940, son arrestation par la milice française, sa déportation à Dachau, en camp de concentration, est une illustration bouleversante de l’engagement spontané.

À travers l’itinéraire de Walter Bassan, résistant et déporté à Dachau, il est question d’engagement antifasciste et de résistance. Sa révolte toujours aussi vive contre l’injustice sociale et les lois sur l’immigration, sa vigilance face aux conséquences du racisme et de la xénophobie — « le fascisme se nourrit du racisme, de l’intolérance et de la guerre » —, son refus de la récupération par le pouvoir actuel des symboles de la lutte pour laquelle nombre de ses camarades sont morts dans des circonstances abominables, son courage et sa simplicité inspirent le respect.

Après avoir vu le documentaire de Gilles Perret, Walter. Retour en résistance, on se dit que la mémoire individuelle est importante et qu’elle permet de remettre les pendules à l’heure… Car la propagande d’État a les moyens de revisiter les faits et de fabriquer une histoire officielle dans le but de modeler des esprits. Sur les droits sociaux par exemple : la sécurité sociale, à lire et à entendre, serait un gouffre abyssal, une faillite assurée et l’œuvre d’irresponsables vaguement idéalistes…
Mais la solidarité qu’elle représente, on n’en parle pas. Une valeur obsolète diront les plus cyniques !

Allons-nous devenir comme certain-es qui, outre-Atlantique, voient dans le droit à la santé pour tous et toutes une attaque de la libre entreprise, voire de la « démocratie » ? Quelle démocratie ? La démocratie qui permet un contrôle du capital sert la société marchande, la solidarité devenant une notion superflue, « dépassée ».

La sécurité sociale date de 1945, ce n’est pas si lointain… Depuis de nombreuses années déjà, les gouvernements successifs nous serinent le
« trou de sécu », surtout, ajoute-t-on, avec une population qui vit de plus en plus âgée ! Quelle est donc la solution ? Revenir en arrière avec des riches plus riches et des pauvres plus pauvres qui, de surcroît, n’auraient plus droit à la santé ?

Walter, jeune résistant sous le régime collaborationniste de Pétain, est demeuré fidèle à ses idées et le voilà à nouveau en résistance alors que l’image de la Résistance est récupérée par des politiciens bien étrangers aux principes revendiqués à la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans l’élan de la Libération. Autant d’avancées sociales peu à peu grignotées
et d’idées vidées de leur contenu et de la volonté de justice sociale qui
s’y rapportait. Il s’agit aujourd’hui, avant tout, de ne plus être critique.
La commémoration, oui, la mémoire officialisée, oui, mais le rappel des principes mêmes qui ont sous-tendu la lutte contre la Collaboration, la complicité des politiques et de la police, certainement pas. Pas question non plus de défendre les réformes sociales de la Libération.

Or le documentaire de Gilles Perret revient sur les principes, sur la prise de conscience d’un jeune homme, sur son expérience et sa détermination. Walter ou le retour à l’évidence de résister. Il est évidemment inconcevable pour lui de subir et de se résigner, il ne peut que s’opposer à l’injustice et à l’inacceptable. Walter, c’est cette fraîcheur dans l’engagement et la critique, ce besoin de témoigner auprès des jeunes de son expérience durant l’une des périodes les plus noires de notre histoire. Walter a vécu le fascisme, l’Occupation nazie, les camps de concentration, la Collaboration justifiée par l’idéologie ou par la mauvaise foi. Il souligne d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un phénomène exceptionnel, unique ou accidentel de l’histoire, mais de quelque chose qui peut se reproduire.
Le fascisme est toujours présent, sous d’autres formes. Les politiques sécuritaires, basées sur la peur de l’Autre, sont un prélude à de dangereuses dérives autoritaires. Si l’on prend pour exemple le fichage, par qui et comment sera-il contrôlé ? Quelle assurance a-t-on de l’utilisation faite des données ? Quelles sont les garanties concernant les droits humains ?

Retour sur la tentative d’intimidation et de censure dont est victime le film et son réalisateur. « Bon alors, vous allez couper cette séquence !? » intime Bernard Accoyer. Pourquoi le documentaire serait-il policé et aseptisé pour parler d’un homme qui s’est opposé à la Collaboration et au fascisme ? Gilles Perret [2] n’a pas réalisé ce film pour une commémoration, mais pour permettre à un homme qu’il connaît depuis des années de témoigner de son combat et de son indignation de voir celui-ci récupéré par des opportunistes.
Il n’est pas question dans le documentaire de Gilles Perret de héros, mais d’un homme qui n’accepte pas l’indignité.

Gilles Perret : L’idée, comme en général dans mes autres films, était de partir d’une petite histoire locale pour rencontrer la grande histoire. Avec Walter, que je connais depuis que j’ai une dizaine d’années, cela paraissait évident. Mais ce qui m’intéressait particulièrement chez Walter, c’était de faire le portrait d’une personne qui a eu des idéaux, les a payés très cher puisqu’il a été dénoncé, arrêté par la milice, torturé et envoyé en camp de concentration, et qui, soixante cinq ans après, défend toujours les mêmes idéaux et les mêmes valeurs. C’était à la fois attachant et rassurant. L’idée était également de souligner que la Résistance n’est pas uniquement attachée au passé et que lorsqu’on s’intéresse à la chose publique et politique, on voit venir les mauvais coups un peu plus tôt.

Christiane Passevant : Toute la famille de Walter est engagée, son frère aîné est mort en camp de concentration, son père était italien antifasciste et a du émigré à cause du régime fasciste de Mussolini.

Gilles Perret : Il y avait une culture politique dans sa famille, et comme il le dit dans le film, elle n’avait pas attendu 1944 pour choisir la Résistance, de même qu’il ne faisait pas l’ombre d’un doute que Pétain était fasciste.

Christiane Passevant : Ton film souligne de manière flagrante la différence entre la sincérité de Walter et des résistants, leurs convictions, et l’utilisation par Nicolas Sarkozy de la Résistance avec la mise en scène sur le Plateau des Glières. Tu as voulu cette mise en perspective ?

Gilles Perret : Il faut se replonger dans le contexte. Deux jours avant l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy a voulu récupérer le symbole de la Résistance en se faisant filmer sur Plateau des Glières. Son désir était d’en faire sa roche de Solutré en s’y rendant chaque année.
Ce jour-là, j’étais déjà en tournage avec Walter qui, lorsqu’il a appris
cela, était scandalisé. Et il n’était le seul, car les résistants n’étaient
même pas invités. Nicolas était venu avec sa horde de journalistes
qui ne se sont même pas posé de questions sur les résistants qui pouvaient être gênés par cette récupération politique. Il y a eu ensuite la lettre de Guy Mocquet et, l’année suivante, il est revenu.
Il se comporte comme un goujat dans le cimetière. C’est un show médiatique : cinq caméras de l’armée, tous les journalistes de la presse, de la télé et des radios. Il se tient péniblement devant le monument durant quelques minutes et ces images sont passées au treize heures et au vingt heures des journaux télévisés. Quelques minutes plus tard, j’ai filmé cette scène ahurissante où, entre deux tombes de résistants, il se comporte comme un salle gosse parce qu’il n’est plus en représentation.
Je pense que cette séquence est mille fois plus révélatrice de la considération qu’il a pour la Résistance, c’est-à-dire aucune, si ce n’est dans la représentation médiatique et dans la récupération de l’image.

Christiane Passevant : Cela est significatif de la manipulation de l’opinion et du cynisme.

Gilles Perret : Et de sa politique. Quatre-vingt-dix pour cent de son activité et de sa réflexion est de savoir comment utiliser les symboles, comment être au bon endroit, quel feu il faut allumer ou quel contre-feu. On n’est pas là dans la réflexion d’une politique à long terme, mais à très court terme. Et tout son entourage — il existe une véritable PME autour de lui —, son organisation consiste à communiquer, mais pas à faire de la politique. Quel projet de société nous vend-il ? Aucun.
Il pourrait avoir une réflexion politique, structurée, vers un idéal libéral, une vision politique, un projet à long terme… Mais ce n’est pas le cas.

Christiane Passevant : C’est une politique à courte vue.

Gilles Perret : C’est pourquoi il est important de rappeler que le programme du Conseil national de la Résistance — signé à l’époque par toutes les forces politiques en clandestinité et les syndicats — portait un projet politique pour plusieurs décennies et tournait autour des valeurs de solidarité, de liberté, d’égalité : liberté de la presse, égalité en nationalisant les besoins vitaux de l’économie… Et à présent la politique tourne complètement le dos au programme de la Résistance puisqu’on ne fait que prôner l’individualisme, dézinguer la sécu… Et là il y a une escroquerie politique qu’il fallait dénoncer et on a la chance dans un documentaire long métrage d’expliciter tout cela.

Christiane Passevant : Le programme du Conseil national de la Résistance est rappelé au début du film, en préambule. Ce programme, appliqué en 1945, a finalement été rapidement rogné.

Gilles Perret : Ce programme, signé dans la clandestinité en mars 1944, a été mis en application en grande partie par les ordonnances de 1945, dans un temps restreint. La IVe République a été restaurée, le patronat, qui avait largement collaboré pendant la guerre, n’a guère eu la parole et de Gaulle, voulant garder la main mise sur la Résistance, a laissé passer ces lois progressistes. On a découvert pendant le tournage à quel point ce programme était méconnu alors que l’on en bénéficie tous les jours : la sécurité sociale, la retraite par répartition, les comités d’entreprise, la disposition qui voulait séparer la presse des pouvoirs d’argent — même si cela n’est plus tellement d’actualité !
Si ce programme est ignoré, ce n’est pas un hasard. Tout a été fait
pour qu’il soit oublié, que l’on ignore sa provenance et son influence « gauchiste » pour le dire ainsi.

Christiane Passevant : Et cette altercation avec Bernard Accoyer ?

Gilles Perret : Au moment de l’inauguration du Musée de la Résistance est arrivé ce nouvel élu, président de l’Assemblée nationale, avec toute sa cour des élus locaux, et j’ai voulu lui poser la question sur la contradiction entre leur programme politique et le programme du Conseil national de la Résistance. Pour lui, ce jour-là il n’était pas pensable qu’on lui pose des questions dérangeantes, donc il se prête d’abord à l’interview, puis,
lorsqu’il s’aperçoit du tour qu’elle prend, cela se termine mal. Et après s’être renseigné sur moi, il revient à la charge et me menace d’utiliser
tous les moyens en son pouvoir pour empêcher la diffusion de l’entretien. Il m’a d’ailleurs envoyé une lettre recommandée avec accusé de réception.

Christiane Passevant : Il t’accuse de faire l’amalgame entre deux périodes.

Gilles Perret : C’est cela. Et il ne savait pas que cette altercation était en fait enregistrée. Or, lorsqu’il a vu le film, il s’est aperçu que non seulement l’interview y figurait, mais que le son de l’altercation aussi. Et à la sortie du film, cela s’est mal passé. Mais ce n’est pas étonnant car je suis convaincu qu’il n’a jamais lu le programme du Conseil national de la Résistance, pas plus que certains députés UMP ou que Nicolas Sarkozy.
Je parle de la seconde partie du programme qui traite du projet de société.

Christiane Passevant : Un point important est également abordé dans le film, c’est le fait que le fascisme n’est pas quelque chose d’exceptionnel, mais que cela peut se reproduire.

Gilles Perret : Dans son livre, De quoi Sarkozy est-il le nom ?, Alain Badiou montre comment et sur quels leviers on agit, dans une période qu’il qualifie de néopétainiste, en utilisant systématiquement la peur, le repli identitaire, la famille, le travail, l’identité nationale… Et on voit que cela fonctionne toujours aussi bien.

Extraits d’un entretien avec Gilles Perret, dans les Chroniques rebelles sur Radio Libertaire, le samedi 7 novembre 2009.


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