Chroniques rebelles
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Black Swan. Film de Darren Aronofsky
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 27 mars 2011
dernière modification le 23 décembre 2011

par CP

Le film de Darren Aronofsky est un récit cruel et fantastique. Un conte moderne dans lequel Nina Sayers, jeune danseuse en quête de perfection,
se transforme en première ballerine possédée par le rôle double — candeur et séduction — du personnage du Lac des Cygnes. Black Swan [1] décrit l’univers de la danse, sans le masque habituel du charme et de la grâce. Le monde du ballet est dur, l’empathie en est absente, seuls comptent la discipline, la rigueur, l’arrivisme, les jeux de pouvoir, l’inhumanité et la pression pour obtenir toujours plus des êtres humains. Un mécanisme destiné à broyer. S’y croisent des êtres jouant un jeu maléfique qui consiste à déstabiliser, briser, déshumaniser, humilier l’autre pour en obtenir plus : l’essence de l’être à coup de trique.

Pour ce qui est des pressions, Nina les subit tout autour d’elle, sa mère d’abord — personnage fort et frustré joué par Barbara Hershey, magnifique —, étouffante à souhait et revivant à travers sa fille la carrière qu’elle a abandonnée, et son chorégraphe mentor qui cherche à la briser pour « libérer » son interprétation du rôle. Son style est parfait, dit-il, mais il y manque la passion et l’authenticité. Mais Nina, que ressent-elle ? La peur de ne pas séduire, l’angoisse, l’envie et la culpabilité de prendre le rôle d’une autre, la crainte incessante de ne pas être à la hauteur des espoirs de sa mère, la phobie de l’échec.

La dualité du personnage du Lac des cygnes la possède peu à peu sans qu’elle s’en défende. À partir de là, Nina fera tout pour être habitée, pour devenir le double personnage du Lac des cygnes, pour incarner à la fois
le cygne blanc, pur et innocent, et le cygne noir, séduisant et machiavélique. La frustration de la mère et la domination du chorégraphe s’allient alors pour le « bien » de Nina qui joue le jeu et se plie à leurs exigences. « Oublies-toi Nina ! » et Nina, consentante, s’oublie jusqu’à vivre le cauchemar dans un monde où les personnages se dédoublent, comme dans le ballet. Le monde parallèle guette Nina dans le reflet des miroirs, des formes, des personnages la croisent qui semblent exprimer une émotion profonde, intime. Les hallucinations se matérialisent, sa peau, ses yeux changent… Où est
la réalité ? Où est le cauchemar ? Le songe se mêle au quotidien, le fantasme prend le pas sur la réalité et la mutation de Nina s’opère dans une acceptation incontrôlée. Tout tourne d’ailleurs autour de la mutation, la peau change de consistance, on ne sait pas si c’est le fait de se gratter ou bien si le tissu cutané se métamorphose.

La transformation de Nina et certaines scènes du film font penser à Répulsion de Roman Polanski (1966). Progressivement, la jeune femme se perd dans les méandres de l’inconscient, donnant ainsi corps à ses angoisses qui la submergent et la possèdent totalement. Un film, saturé de miroirs, de reflets, de doubles, sur la possession à travers la recherche de la perfection.

Le réalisateur a connu l’univers du ballet grâce à une sœur ballerine et avec Black Swan, Darren Aronofsky réussit un film violent et envoûtant dans lequel le personnage de Nina émeut par sa fragilité et son abandon face aux exigences des autres, jusqu’à se perdre. S’il existe des similitudes entre Black Swan et The Wrestler (2009), ce sont les corps suppliciés poussés jusqu’aux extrêmes limites de l’endurance. La caméra, elle, se meut au diapason du ballet, suit la danseuse, comme fixée à elle. Les mouvements de caméra répondent aux mouvements de la danse, comme en écho au geste, dans une virtuosité époustouflante.

L’histoire.

Darren Aronofsky : Dans le ballet, les deux personnages, les deux sœurs sont interprétées par la même danseuse. Et nous avons pris cette version pour suivre le dédoublement du personnage tout au long des répétitions et dans la vie même du personnage, de la jeune femme. Nous sommes restés fidèles au script du ballet du Lac des cygnes.

Le symbole des miroirs. Une parabole de la traversée du miroir.

Darren Aronofsky : Le film est sur les doubles, le dédoublement, la perte de l’identité. Dans le domaine de la danse, dans le monde du ballet, il y a partout des miroirs dans lesquels danseurs et danseuses se regardent, étudient les mouvements des corps. La prise de vue avec les miroirs est l’un des plus anciens trucs du cinéma, mais nous avons essayé de le rénover, de le rafraîchir.

Le rôle de Nina Sayers.

Darren Aronofsky : Nathalie Portman a toujours joué des rôles de très jeunes femmes. Elle est très belle et c’était bien de lui faire jouer un rôle plus grave et plus mature, moins juvénile. Elle a travaillé jusqu’à 8 h par jour pendant un an. Cela a été long de devenir une danseuse étoile. Pour Mickey Rourke (The Wrestler), cela n’a duré que 3 ou 4 mois. J’étais un peu inquiet pour Black Swan, mais grâce au travail de Nathalie et au jeu des caméras, nous avons réussi. À l’exception des plans larges où la danseuse doit être sur les pointes pour un temps très long, c’est Nathalie qui est à l’écran. Je n’ai pas beaucoup utilisé sa doublure.

La rivale de Nina, Lily.

Darren Aronofsky : J’ai vu jouer Mila Kunis dans un film et Nathalie la connaissait. Elles sont amies. En fait, je l’ai engagée par Internet. Pour le rôle du chorégraphe, j’ai immédiatement pensé à Vincent Cassel et nous avons organisé une rencontre à Londres.

La musique et la bande son.

Darren Aronofsky : C’était la partie du travail le plus excitante. Je savais que cela serait un défi de travailler la musique, très connue, de Tchaïkovski et en même temps d’en faire autre chose, d’y apporter quelque chose pour renforcer l’atmosphère, le climat du film. Ce n’était pas évident, mais c’était passionnant. Le compositeur, Clint Mansell [2], a passé six mois à déconstruire la musique de Tchaïkovski pour en faire quelque chose de nouveau, tout en gardant l’essentiel de sa musique. La musique de Tchaïkovski est donc manipulée, adaptée au montage car la musique de ballet est très graduée. Clint Mansell a écrit une musique originale et l’a fusionné avec la musique de Tchaïkovski. Pour la scène du Night club, ce sont les musiciens qui ont fait un mélange avec la musique de Tchaïkovski.

La chorégraphie.

Darren Aronofsky : Il fallait jouer en même temps sur la chorégraphie et sur les sentiments exprimés. Il fallait transformer les émotions en mouvements. Avant de tourner, nous avons d’abord filmé avec une caméra vidéo pour étudier les mouvements.

Le film fait-il des références à deux films, Les Chaussons rouges (The Red Shoes) de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948) et Suspiria de Dario Argento (1977) ?

Darren Aronofsky : Je n’ai vu que récemment ces films. Sans doute le monde du ballet n’a-t-il guère changé ces dernières décennies et l’on retrouve des caractéristiques communes à cet univers de la danse.

Dans The Fontain et Black Swan, les personnages ont en commun le dépassement de soi.

Darren Aronofsky : Je ne sais pas si c’est conscient, mais il est certain que mes personnages tentent toujours de se dépasser, de tendre vers l’impossible, l’inhumain.