Chroniques rebelles
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Un Troussage domestique. Ouvrage collectif, coordination de Christine Delphy
Samedi 24 septembre 2011
Article mis en ligne le 24 septembre 2011

par CP

Un troussage de domestique

Christine Delphy (coord.)

Avec des textes de Clémentine Autain, Jenny Brown, Mona Chollet, Sophie Courval, Rokhaya Diallo, Béatrice Gamba, Michelle Guerci, Gisèle Halimi, Christelle Hamel, Natacha Henry, Sabine Lambert, Titiou Lecoq, Claire Levenson, Mademoiselle, Marie Papin, Emmanuelle Piet, Audrey Pulvar, Joan W. Scott, Sylvie Tissot, les TumulTueuses, Najate Zouggari.

L’objet de ce livre n’est nullement de discuter des faits de ce qu’on a appelé l’« affaire Strauss-Kahn ». Il est de rendre compte de l’effarement des féministes françaises devant les déclarations des hommes – et femmes – politiques à la nouvelle de son arrestation.

Effarement et indignation : Dominique Strauss-Kahn était présenté comme une victime et, surtout, on ne voyait que lui, comme s’ il ne s’agissait pas d’une agression, vraie ou fausse peu importe ici, mais en tous les cas qui impliquait au moins deux personnes.

Ce livre consiste en une sélection de textes de féministes (journalistes, universitaires, chercheuses, étudiantes, de toutes générations) qui s’arrête, sauf exception, à la première semaine de juin. Ainsi, sauf pour l’article de Clémentine Autain et Audrey Pulvar qui clôt le livre, il n’y a pas de réaction à l’annonce de la fin des poursuites contre DSK fin juillet pas plus qu’aux propos sur sa « résurrection ».

Beaucoup de femmes et d’hommes ont été choqués par l’invocation d’une soi-disant culture nationale pour justifier l’injustifiable. La confrontation politique sur le viol, sur la violence est ouverte.

Photos du rassemblement du 11 septembre 2011. Place des Vosges à Paris.

Le sexisme en France est à ce point ancré dans les mentalités qu’il est banalisé et semble la norme dans beaucoup de cas. C’est en quelque sorte un patriarcat institutionnalisé.

Les réactions dans la presse, après l’arrestation à New York de DSK, en sont encore une fois le révélateur et l’illustration. Nous avons eu droit à tous les clichés habituels, hormis quelques exceptions, et une vague de commisération complaisante a envahi les médias sur la situation « dramatique » d’un homme « humilié » en raison de son irrépressible attirance vers les femmes. Sur la situation de Nafissatou Diallo, la femme ayant porté plainte, rien.

« Je pense d’abord à l’homme » a dit Ségolène Royal. On ne peut être plus claire. Fi de ses velléités féministes quand il s’agit de serrer les coudes dans le clan !

En France, il ressort le constat d’une volonté d’ignorer le viol ou de le considérer comme une manifestation rare — 75 000 viols par an, il faut tout de même le rappeler ! Et, à présent — flash raciste — cette violence surviendrait uniquement dans les milieux défavorisés, les « populations issues de l’immigration », les Noirs et les « Arabes » dont la situation d’infériorité sociale leur est transmise par les parents. Nous y voilà : la tare sociale.
Les pauvres, les barbares, violent, et les riches, les éduqués, se permettent des « grivoiseries ».

La manipulation et le déni des faits a atteint des sommets avec le show, en Prime Time, présenté le dimanche 18 septembre sur TFI. Apothéose du sketch entre DSK et la journaliste : « la faute morale », avouée et brandie comme le Saint-sacrement d’une innocence retrouvée ! Repenti ? Péché avoué à moitié pardonné ? On se serait cru à confesse ! Et ce fut finalement un morceau d’anthologie lorsque DSK, violeur présumé, voulut prouver sa sincérité, et la faute de l’autre — la femme accusatrice bien sûr — en se saisissant des tables de la loi : le dossier du procureur !

On pourrait presque en rire si cela ne révélait la gravité de la situation, c’est-à-dire le machisme ambiant et le déni des violences faîtes aux femmes.

Du « troussage de domestique » de Jean-François Khan au « il n’y a pas mort d’homme » de Jack Lang pour commenter un épisode salace et sans doute ordinaire à leurs yeux, ou encore au « j’adore » d’Ardisson lorsque Tristane Banon raconte sa mésaventure avec le même « don juan prédateur », il est toujours question de la même attitude sexiste et prédominante : tout est de la faute de la femme tentatrice, perverse, et même vénale ! Pour ce qui concerne Nafissatou Diallo, le verdict nous
fut livré par avance : COUPABLE… Sans droit à la présomption d’innocence ! Quant à Tristane Banon, le traitement fut moins rude puisqu’elle n’est ni domestique ni noire : trop d’imagination, ce qui évidemment sous-entendait instable…

La rhétorique était bien huilée dans cette mascarade médiatique, où les
deux protagonistes jouaient leurs rôles avec un professionnalisme appuyé, sans pour autant convaincre ni donner le change :
caméra sur l’œil contrit, gros plan sur les mains, grandiloquence assurée, silence complice et la journaliste amie qui sert la soupe à l’homme politique. Un show médiatique dans une mise en scène très scriptée : plan de l’homme brisé, mais soutenu, des faits imaginaires qui lui sont reprochés
— non tarifés —, mais l’homme garde la tête froide malgré la
« morale » estropiée — momentanément.
Le Mea Culpa qui consistait à dire qu’il comprenait que les Français (vous avez remarqué, les Françaises n’avaient pas de place dans le discours),
que les Français donc soient choqués par la location d’une maison luxueuse alors que sa compagne — modèle de femme admirable — voulait louer un studio de 20 m2 ! Il nous a vraiment pris pour une masse d’imbéciles et nous avons assisté à une farce télévisuelle étonnante où l’éthique journalistique en a pris un bon coup, si tenté que l’on croit encore à cette éthique sur LA chaîne de grande écoute.

Il ne manquait plus qu’une page de pub pour conclure… Elle a été remplacée par un cours d’économie mondiale par l’expert es FMI qui en connaît un rayon pour mettre des pays aux abois, histoire de rembourser la dette ! Le pouvoir, le fric et la baise : cynique démonstration !

Si Nafissatou Diallo avait été agressée par un homme noir dans le Bronx, il est à parier que ce dernier n’aurait pas bénéficié du même concert compatissant.

Un troussage de domestique, ouvrage collectif coordonné par Christine Delphy, est un livre essentiel pour comprendre notre société, ses zones d’ombre, son machisme occulté, le déni du sexisme et de ses violences…

Silence on trousse ! Faut-il encore longtemps accepter ce « lavage de cerveau patriarcal » ?