Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
L’AFFAIRE MUMIA ABU-JAMAL. LE BÉNÉFICE DU DOUTE ?
Film documentaire de John Edginton (1996)
Article mis en ligne le 23 décembre 2007
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

« Mon nom est Mumia Abu-Jamal. Je suis journaliste. Je suis un mari, un père, un grand-père, et un Américain-africain. Je vis dans le "lotissement immobilier" qui connaît la croissance la plus rapide en Amérique. En 1981, j’étais reporter à WUHY [radio] et président de l’Association des journalistes noirs. Actuellement, je suis écrivain et chroniqueur sur une radio publique. Cela fait onze ans que je réside dans le couloir de la mort de Pennsylvanie. Branchez vos postes et écoutez mes bulletins en direct du couloir de la mort. »

L’enregistrement de la voix off de Mumia Abu-Jamal ouvre le documentaire de John Edginton sur des images de barbelés avec des rasoirs. Un enregistrement interdit d’antenne en 1993 après les protestations de la police de Philadelphie.

Un policier tué… l’arme de calibre 38 trouvée à terre qui ne correspond pas à la balle meutrière… un journaliste américain-africain accusé et condamné à mort… quinze années dans le couloir de la mort… une des affaires les plus troubles sur fond de classe et de racisme…

Mumia Abu-Jamal, surnommé la "voix des sans voix", est condamné à mort en juin 1982, après un procès inique, pour s’être élevé contre le système raciste et inégalitaire qui sévit aux États-Unis. Les véritables charges qui pèsent contre lui sont ses convictions politiques et son passé de Black Panther. Un flic blanc est descendu une nuit de 1981 dans Locust Street, Mumia se trouvait là. Il n’en faut pas plus pour qu’il soit le coupable désigné. Un cas exemplaire de justice de classe. Il est américain-africain, journaliste engagé et ne possède pas les millions de dollars qui lui permettrait de se payer les meilleurs enquêteurs et les équipes de juristes très médiatiques. Alors à l’issue d’un procès baclé où le juge Sabo, recordman aux États-Unis des “envois” sur la chaise ou à l’injection léthale, il est expédié dans le couloir de la mort.

Depuis deux ans, l’affaire Mumia Abu-Jamal est connue et mobilise l’opinion publique au plan national et international. Il clame son innocence, mais on lui refuse la procédure d’appel et ses témoins sont rejettés. En revanche, les témoignages obtenus par l’intimidation contre lui ne sont jamais remis en question. La parodie de justice est totale, ouvertement… cyniquement.

« En Pennsylvanie, 111 condamnés à mort sur 184 [en 1994], soit plus de 60%, étaient noirs.” alors qu’ils “constituent à peine plus de 9% de la population de la Pennsylvanie, et un peu moins de 11% de la population nationale. […] Le droit n’est que la continuation de la politique par d’autres moyens ». Chiffres éloquents que Mumia Abu-Jamal dénonce dans son livre, En direct du couloir de la mort. [1] Un témoignage contre la barbarie d’un appareil de répression raciste, contre l’État qui criminalise les activités des activistes politiques pour les réduire au silence, un système qui érige la peine de mort en argument électoral. « Peu importe que sur les dix États ayant les taux de meurtre les plus élevés, huit connaissent aussi le plus grand nombre d’exécutions, ces exécutions qui ont un prétendu effet dissuasif. » Dans sa prison aseptisée, Mumia Abu-Jamal reste le militant qui accuse un système arbitraire.

La mobilisation nationale et internationale a permis en août 1995 de sursoir à son exécution. Les comités et les associations n’ont cessé de dénoncer la « croisade contre Jamal » menée par la police de Philadelphie. Mais la révision du procès se heurte à la violence étatique et juridique. Le juge Sabo a confirmé la condamnation à mort de Mumia Abu-Jamal et rejeté la requête de réouverture du procès. C’est à l’évidence un « lynchage légal ».

Le cas de Mumia Abu-Jamal est emblématique de la justice de classe et des conditions carcérales des prisonniers politiques aux États-Unis. « J’ai des petits enfants et je ne les ai jamais touchés. Je ne les ai vus qu’à travers cette glace de plexiglas. Je pense que ce système, imposé aux gens par l’intermédiaire de ses prisons, a pour but de les séparer non seulement de ceux qu’ils aiment, mais aussi de les séparer d’eux-mêmes, dans le sens où il aliène. Il vise à détruire la conscience de soi jusqu’à ce que l’on meurt littéralment. Avant de mourir dans sa chair, on est mort dans sa tête. »