Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Les Chevaux de dieu
Film de Nabil Ayouch
Article mis en ligne le 27 mars 2013

par CP

Yachine, dix ans, vit avec sa famille dans le bidonville de Sidi Moumen près de Casablanca. Sa passion, le foot et être gardien de but. Le quotidien de l’enfant est difficile, sa mère, Yemma, a en charge la famille, son mari a abdiqué le rôle paternel, son frère est autiste, un autre militaire et Hamid, un peu plus âgé que lui qui joue le petit caïd du quartier et son protecteur.
À la suite d’une provocation vis-à-vis de la police, Hamid est emprisonné et Yachine tente de survivre, d’abord en vendant des légumes, puis en travaillant dans un garage.

Les années ont passé, Hamid sort de prison, mais est devenu islamiste radical. Il persuade Yachine et ses copains de rejoindre le groupe au sein du bidonvilles, mais le petit frère n’est plus prêt à se laisser dominer. Il devient le favori du chef spirituel, Abou Zoubeir, et devient peu à peu le responsable de son groupe. Au terme d’une longue préparation physique et mentale, on leur annonce qu’ils ont une mission : faire un attentat en plein Casablanca…

En octobre 2011, Nabil Ayouch présentait au festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier (CINEMED) un film documentaire très intéressant, My land [1], dialogue initié par le réalisateur entre des Israéliens et des Israéliennes, d’une part, et des exilé-es palestiniens et palestiniennes du Liban, d’autre part.

Sujet complexe qui traitait de l’occupation israélienne, de la spoliation des terres palestiniennes en 1948 et en 1967, du déni de l’État israélien de cette spoliation par le détour de décrets militaires, de sa propagande, enfin de l’exil et de l’absence de droits de la population palestinienne dans les camps de réfugié-es au Liban. Le titre du film documentaire, My land (Ma terre — Mon pays), résumait bien les sentiments des individus rencontrés par le réalisateur, des individus pris dans la grande histoire qui racontent à l’écran leur histoire personnelle, leur perception de la situation et leur ressenti.

Au dernier Festival CINEMED, Les Chevaux de dieu [2] de Nabil Ayouch était en compétition des films long métrage de fiction et s’attaquait à un sujet tout aussi brûlant, les raisons du terrorisme. La problématique des Chevaux de dieu présente des similitudes avec son précédent film documentaire, notamment au plan du récit des personnages et de leur histoire vécue, celle-ci étant ancrée dans la grande histoire. Le film se déroule sur une période importante de l’histoire marocaine qui va de la fin du règne de Hassan II jusqu’en 2003.

La démarche de Nabil Ayouch s’attache à non seulement analyser les faits, mais surtout à montrer l’évolution du contexte social en suivant le parcours de jeunes Marocains des bidonvilles, depuis leur adolescence jusqu’au sacrifice aussi absurde qu’injuste de leur vie. Il donne enfin à ces jeunes une parole qui leur est en général confisquée. L’idée n’étant ni de condamner ni d’absoudre, mais de tenter de comprendre le cheminement,
les influences subies par une jeunesse sans réelles perspectives.

Quels sont les facteurs qui poussent ces jeunes gens à commettre des attentats ? Quelles motivations poussent ces adolescents « comme les autres » à accomplir ce type d’action ? Quelle place tient les attentats
dans leur imaginaire ? Quel rôle joue l’islamisme radical dans les
bidonvilles ? Ce qui amène à poser la question sur la proximité des bidonvilles, et de leur pauvreté, jouxtant la richesse d’une ville comme Casablanca. Cette proximité a-t-elle un impact sur la prise de conscience
des différences de classes ? Mais aussi de la corruption et de l’injustice sociale dont sont victimes ceux et celles qui vivent dans les bidonvilles ?
De cette prise de conscience ne résulte pas immanquablement la résignation. Les attentats de 2003, commandités par des groupes
islamistes à l’intérieur de ces poches d’ignorance et de misère sociale,
ne sont-ils pas l’expression d’une prise de conscience et d’une soif de reconnaissance de ces jeunes ?

Adapté du roman de Mahi Binebine, Les Étoiles de Sidi Moumen,
le film de Nabil Ayouch élargit le point de vue du romancier en y adjoignant une réflexion sociale profonde qui va bien au-delà du contexte marocain.
La mise en scène est étonnante tant dans le mouvement quand la caméra suit les enfants, puis les jeunes dans leur course ou bien qu’elle scrute les visages et les regards pour souligner l’intensité des révoltes et des sentiments. Le film est également servi par un casting magnifique, le jeu des comédien-nes est remarquable dans la spontanéité et le naturel. On connaissait l’habileté de Nabil Ayouch pour diriger de jeunes comédiens depuis Ali Zaoua, film qui l’a fait connaître en 2000, et on ne peut que saluer sa maîtrise impressionnante dans cette nouvelle réalisation.

La Désintégration de Philippe Faucon traite du même sujet et part également de l’analyse des motivations des jeunes des banlieues qui,
après avoir perdu tout espoir dans la société actuelle, sont manipulés
par des groupes islamistes et s’imaginent jihadistes. Ces jeunes gens
étant de véritables proies pour des idéologues habiles qui visent à prendre
le pouvoir en se servant de la terreur et au nom d’une religion qu’ils assurent rénovée, « purifiée » et glorifiante. Dans les Chevaux de dieu [3], Nabil Ayouch y ajoute le contexte historique d’un pays et la perspective évolutive d’une société qui ignore ses laissés pour compte.

Sortie nationale du film de Nabil Ayouch : 20 février 2013

Dans un entretien du 28 octobre à Montpellier, lors du festival international du cinéma méditerranéen, Nabil Ayouch explique comment s’est faite sa rencontre avec le roman…

Nabil Ayouch : Par un biais un petit peu détourné parce que j’avais en fait commencé à écrire un scénario qui racontait plus ou moins l’histoire du roman. Pendant six mois, j’y avais travaillé et fait des enquêtes sur le terrain lorsque j’ai appris que Mahi Binebine avait écrit un roman, Les étoiles de Sidi Moumen, sur le sujet. Le roman n’était pas encore paru et je lui ai demandé de le lire, ce qu’il a gentiment accepté. Je me suis alors aperçu que les éléments de l’histoire humaine que je voulais raconter étaient dans le roman. J’ai alors cessé l’écriture du scénario pour commencer l’adaptation du roman avec le scénariste Jamel Belmahi.

Le roman est plus une chronique du début à la fin, avec plusieurs époques.
Les enfants grandissent, adolescents et adultes, mais il se transforme moins en fresque contrairement au film, qui commence comme une chronique et bascule assez rapidement vers la fresque. Dans le roman, la grande histoire a moins d’importance que les petites histoires qui demeurent jusqu’au bout le nœud central et déterminant. Dans le film, c’est également le cas puisque l’on suit le parcours de ces gamins, et en même temps leurs petites histoires rencontrent la grande histoire avec un H et la géopolitique mondiale, nationale qui influence aussi ce qui se passe dans le bidonville,
le bourrage de crâne, la manipulation. C’est dans ce sens que les deux points de vue diffèrent un peu.

Au lendemain du 16 mai 2003, j’ai réalisé un court documentaire d’une quinzaine de minutes. Je voulais immédiatement être le témoin de la manière dont vivaient les victimes de ce drame et je suis allé avec une petite équipe à leur rencontre. Ce documentaire est passé à la télé et dans quelques festivals et il est vrai que je suis resté avec un sentiment de frustration. Ce que j’ai vu était abominable, aussi bien du côté des familles détruites que de ceux qui s’en étaient tiré et qui racontaient la manière dont cela s’était passé. Doublement abominable parce que, malgré tout, le Maroc est de tradition assez tolérante, il faut le dire, les communautés cohabitent depuis des siècles, juifs, berbères, musulmans, les influences chrétiennes, africaines… Le Maroc est peu une mosaïque et n’a pas été confronté à cette sorte de violence, contrairement à d’autres pays, comme en Algérie ou au Proche Orient. Et lorsque l’on a appris que ces jeunes venaient d’un bidonville situé à une dizaine de kilomètres du centre ville de Casablanca, et qu’il ne s’agissait pas de terroristes super entraînés venant d’Afghanistan, d’Irak ou d’ailleurs, cela a produit un double choc.

Il se trouve que j’avais tourné un film, Ali Zaoua, dans le même bidonville de Sidi Moumen. Je connaissais donc ce quartier et les gens qui y habitent, et ceux que j’avais côtoyé étaient plutôt pacifistes, du moins dans mon souvenir. Donc il m’a fallu du temps pour avaler tout cela, pour comprendre mon sentiment de frustration à la fin du tournage du documentaire. Et bien sûr le temps pour mettre des mots, parce que bien sûr les victimes ne sont pas d’un seul côté. Lorsque des gamins de 20 ans sont manipulés et envoyés ensuite se faire sauter au milieu d’innocents, ces gamins sont évidemment aussi, pour moi, des victimes. J’ai laissé le projet en attente parce que je ne pense pas qu’un réalisateur soit un témoin de l’actualité brûlante, c’est ce que j’avais voulu être avec le documentaire, mais j’avais cette sensation d’inachevé. Il m’a fallu ce temps pour mûrir mon point de vue tout simplement.


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