Chroniques rebelles
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Samedi 10 mai
Départ volontaire de Jean-Luc Debry. Bienvenue dans un monde d’esclaves d’ Anne Scotté. La Banlieue du « 20 heures » de Jérôme Berthaut
Article mis en ligne le 11 mai 2014
dernière modification le 14 septembre 2014

par CP

Départ volontaire

Jean-Luc Debry (Noir et rouge)

Ah ! Odile, comme je suis heureuse de te rencontrer. On me dit le plus grand bien de ton travail. Charles est dithyrambique à ton sujet, et tu sais combien je l’estime. Bon, je vais être directe. Ce n’est pas mon genre de tourner autour du pot. Bon, tu es une parfaite animatrice. Et c’est justement à ce titre que je voulais te parler.

Voilà, tu n’es pas sans savoir que nous sommes engagés dans une opération fitness. Je veux dégraisser en douceur... Pour ça, je vais avoir besoin de toi. On a ouvert un guichet pour les partants. On n’est pas chien. Si besoin est, on finance des formations pour faciliter les reconversions. C’est correct, non ? Bon, le hic, c’est que pour l’instant les volontaires ne se bousculent pas au portillon. Alors, on va être obligé de pousser quelques personnes vers la sortie. Mais sans faire de vague, hein pas de vague, pas d’hystérie, ni de blabla revendicatif.

Pour toi, ça va être assez simple. J’ai besoin d’un dossier sur une seule personne.

Discours habituel et vous voilà dans l’ambiance… Cela pourrait se passer n’importe où, dans n’importe quelle entreprise… Et ça s’appelle Départ volontaire. Enfin ça, volontaire, c’est
pour la galerie, c’est pour faire joli et pour tromper les candides grâce aux apparences faussement conviviales… Or, déglinguer les apparences, Jean-Luc Debry, il connaît. Déjà
dans son ouvrage précédent, il changeait le « rêve » en cauchemar. Et ce fut
Le cauchemar pavillonnaire agrémenté de visites exotiques au centre commercial et promenades bétonnées sur l’autoroute… Tout un programme.

Avec Départ volontaire, il est question d’efficience, de culture du résultat, de valeur
ajoutée, de performance industrielle, de loi du marché, de machines à café et d’open space,
bref de salarié-es lambda… Bienvenue dans l’univers du « management », de la hiérarchie technocrate et de la soumission qui ne paie pas !

Départ volontaire de Jean-Luc Debry, un roman publié aux éditions Noir et Rouge.

Avec L’auteur, Jean-Luc Debry



Bienvenue dans un monde d’esclaves.

La face cachée des entreprises de services du numérique

Anne Scotté (éditions du Sextant)

Il existe des activités de pointe, notamment dans le domaine des services informatiques (Services du Numérique), dont les énormes profits sur cette nouvelle forme d’exploitation : l’esclavage intellectuel. Pour la première fois, les pratiques de ces entreprises sont révélées
dans ce livre.

Bienvenue dans un monde d’esclaves ! On pourrait se dire que l’auteure de ce livre exagère un peu avec l’emploi du terme esclave… Mais à la lecture de ce qu’elle décrit minutieusement avec force détails, l’on se prend à craindre le pire tant l’allégeance à une technique qui nous lie de manière indéfectible est de plus en plus tangible.

Allégeance obligée au système puisqu’il est désormais impossible d’échapper au Service du Numérique, dans le travail d’abord où les implications sont alarmantes avec de nouveaux concepts, comme le TTU (très très urgent) et le toujours disponible qui, peu à peu, effacent les frontières du temps de travail et rognent ainsi sur le temps personnel d’une vie. Quant au quotidien, là le constat est simple, les services informatiques sont partout : dans les banques, les services sociaux, les communications, etc.

Outre cette dépendance inévitable, existent la dépendance économique et celle vis-à-vis du temps. Comme l’écrit Anne Scotté, « L’accélération de la concurrence, le challenge de la mondialisation et la sophistication toujours plus importante des solutions techniques entraînent des évolutions quasi permanentes des outils informatiques. » Il est en effet nécessaire de réactualiser les données des outils, de se former sans cesse, comme si rien n’était acquis, et qu’il faille, sans la moindre réflexion, s’aligner sur de nouveaux logiciels et emboîter le pas à de nouvelles méthodes. La dématérialisation n’est pas source de facilités pour l’individu en général, car elle entraîne des changements continuels — dus au marché — que l’on ne maîtrise absolument pas.

Et il y a le jargon et la pensée qui va avec. Les conséquences sont plus qu’inquiétantes. 1984 est dépassé !

Numérique partout, résistance nulle part serait-on tenté de dire. Pourtant la résistance existe, nous ne vivons dans un monde de geeks, un vent de révolte souffle parmi les salarié-es, car c’est dans le travail que l’attaque est sans doute la plus agressive et la plus grave. Le néolibéralisme et ses enjeux ont tout à y gagner.

C’est ce que nous évoquerons avec Anne Scotté autour de son livre, Bienvenue dans un monde d’esclaves. La face cachée des Entreprises de Services du Numérique, publié aux éditions du Sextant.

Avec L’auteure, Anne Scotté



La Banlieue du « 20 heures »

Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique

Jérôme Berthaut (Agone)

Au salon du Livre Libertaire, il est souvent question des médias, de leur rôle dans l’information et la désinformation.

Avec la précarisation du métier de journaliste et la place de plus en plus considérable accordée
à la COM au détriment de l’info, on peut se demander si les représentations normées ne vont pas envahir complètement l’espace de l’information. C’est déjà le cas pour les journaux télévisés, dont le format obligé ne laisse guère de place à l’analyse, encore moins à l’analyse contradictoire, sinon sous forme de polémiques stériles pour le spectacle. Le temps restreint
de parole régit le moindre commentaire et les nouvelles terminologies participent à « une
forme de prêt-à-penser immédiatement opératoire
 ».

Prime Time oblige !

Outre ce cadre de traitement de l’information, force est de constater que certains
événements sont placés sur le devant de la scène pour en écarter d’autres, afin de fabriquer
des « réputations », des slogans, qui font écho à des volontés politiques et ont la force
des clichés et des jugements sans appel. Il ne s’agit pas là seulement d’analyses pouvant
être qualifiées de primaires, mais bien de volonté délibérée de la part de la hiérarchie pour
coller à la stratégie de la chaîne, puisqu’il s’agit ici plus particulièrement de télévision.

Dans son livre, La Banlieue du « 20 heures ». Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, Jérôme Berthault propose « d’analyser la façon dont la fabrication d’un reportage “banlieue” favorise la mobilisation, au sein des rédactions, d’un stock de représentations, de normes et de pratiques professionnelles. » Autrement dit, comment
« se construit à travers l’imbrication fine de différentes formes de socialisation au métier et contribue ainsi à la pérennisation et à l’actualisation des formes contemporaines de traitement médiatique des quartiers populaires. »

La Banlieue du « 20 heures » est une parfaite illustration du conformisme et des dérives
de la profession. Le rôle des rédactions est essentiel, de ce point de vue, comme « lieu d’inculcation de normes, participant au maintien des pratiques et à la production de discours stigmatisants. » Point n’est donc besoin de censure, elle est intériorisée. Et la scénarisation médiatique prend le pas sur l’information qui devient un produit.
Les infos se gèrent à présent comme la pub !

Reste à imaginer les moyens pour contourner le cadre d’une information normée et policée ou en détourner le processus. Pour le dire de manière plus directe, combien de temps encore les journalistes vont-ils et vont-elles accepter les injonctions de leur hiérarchie et ne pas réellement faire leur métier ?

En compagnie de Jérôme Berthaut