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Samedi 27 décembre 2014
Cinéma et musique…
Article mis en ligne le 28 décembre 2014
dernière modification le 5 janvier 2015

par CP

Cinéma :

 Winter Sleep
de Nuri Bilge Ceylan (Turquie, 2014)

 Léviathan
d’Andreï Zviaguintsev(Russie, 2014)

 Timbuktu
de Abderrahman Sissako (Mauritanie, 2014)

 La Terre éphémère
de George Ovashvili (Géorgie, 2014)

Et en seconde partie des chroniques :

La musique disco et ses représentations

Quatre grands films sont sortis depuis cet été sur les écrans : Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan ; Léviathan d’Andreï Zviaguintsev ; Timbuktu d’Abderrahman Sissako ; et enfin la Terre éphémère de George Ovashvili sorti depuis mercredi. Quatre films qui montrent la violence sous différentes formes, la violence des rapports humains, la violence de classes, la violence de l’État, la violence de la religion, la violence des conflits, la violence de la nature…

Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan (Turquie, 2014)

Le film de Nuri Bilge Ceylan, Winter Sleep, a gagné la palme d’or du Festival de Cannes 2014. Il a été tourné dans un très beau décor en Anatolie, par un hiver rigoureux.

Un ancien comédien vieillissant est propriétaire d’un hôtel où il vit, retiré, en compagnie de sa sœur et de sa compagne. Winter Sleep commence par une sorte d’introspection du personnage qui fonctionne en autarcie et ne se remet certainement pas en question. Le film est une longue réflexion sur la vie, les relations conflictuelles, familiales et de couple, le rapport homme-femme, l’égoïsme, sur l’amitié aussi ou ce qu’elle devrait être.

La séquence de l’enfant qui jette une pierre et doit ensuite s’excuser, son humiliation devant le propriétaire, est d’une violence extrême. Les différences de classes sont montrées ici à l’état brut. La colère et la dignité du père sont poignantes. De même, la scène de capture du cheval sauvage est quasi insupportable dans ce qu’elle symbolise de la beauté et de la liberté maltraitée.
On a parfois reproché sa durée au film, plus de trois heures, mais l’œuvre de Ceylan est à la fois exigeante et profonde, et de fait il serait difficile d’en soustraire une partie au risque d’en caricaturer l’évolution et la démarche philosophique.

Pour Winter Sleep, Nuri Bile Geylan dit avoir été inspiré par Tchekov et Dostoïevski ; il est certain que l’isolement et la rudesse de l’hiver fait ressortir l’ambiguïté des rapports humains, leurs contradictions et leur violence, et souligne encore la difficulté du personnage principal à s’ouvrir réellement aux autres. La narration cinématographique est ponctuée par des silences bouleversants.

Léviathan d’Andreï Zviaguintsev(Russie, 2014)

Le décor de Léviathan : une mer se brisant sauvagement sur les rochers. C’est un film noir et grandiose, depuis les épaves de bateaux abandonnés sur une grève polluée et les carcasses de baleines échouées, jusqu’à la baleine émergeant, monstrueuse, des flots de la mer nordique aux tons profonds et indéfinissables. Tous les plans du film sont à la fois violents et inoubliables. Ils marquent le drame d’une empreinte froide et sans espoir.

Le film précédent d’Andreï Zviaguintsev, Elena, était déjà empreint du caractère d’impuissance du personnage face au pouvoir et au libéralisme. Dans Elena, Zviaguintsev met en scène une classe urbaine de nouveaux riches, alors que Léviathan montre la brutalité grossière du potentat local d’une petite ville du Nord. Ce dernier s’octroie le droit d’expulser illégalement des personnes, sous sa juridiction, et avec la bénédiction de l’Église orthodoxe, omniprésente et dans tous ses apparats. Peu importe la loi, facilement bafouée lorsque l’on a les juges, la police et les prêtres de son côté. Les puissants broient les plus faibles, c’est dans l’ordre des choses.

Kolia habite avec sa compagne et son fils près d’une petite ville au nord de la Russie. Il tient un garage. Lorsque le maire de la ville veut l’expulser pour un projet de construction, il refuse de quitter sa maison. Si la lutte semble perdue d’avance, Kolia résiste quand même. Mais que peut le droit d’une personne contre le pouvoir et les malversations de l’autorité ? La machine du pouvoir se met alors en marche…

Le film a pour trame la corruption des institutions. Si l’on ne se soumet pas aux normes et aux règles, même arbitraires, fixées par les autorités, on est piégé. Et si ces règles sont, en outre, validées par les autorités religieuses, on est foutu.

Elena, le film précédent du réalisateur, était déjà un brûlot contre la nouvelle élite néo soviétique et la violence quotidienne de la société russe. Mais, avec Léviathan, c’est l’une des premières fois où la dénonciation de la corruption des autorités et la collusion entre pouvoir et religion sont aussi clairement exprimées au cinéma.

Léviathan montre un univers influencé, à la fois, par l’orthodoxie religieuse et par des relents d’administration soviétique, sur fond d’images prodigieuses. Le film offre la vision crue et hyper réaliste de la Russie actuelle, dans le décor sombre et magnifique du bord de la mer de Barents.

Autant par les images impressionnantes que par la lutte désespérée de Kolia, Léviathan est un film secouant qui rend avec brio le contexte social russe et la dimension d’impuissance de l’individu contre cette situation. On est passé de la bureaucratie soviétique à la bureaucratie libérale !

Léviathan, c’est le désespoir filmé magnifiquement.

Timbuktu de Abderrahman Sissako (Mauritanie, 2014)

Tourné en Mauritanie pour des raisons évidentes de sécurité, le film d’Abderrahman Sissako raconte la vie d’une famille Touareg vivant sous la tente, dans le désert, non loin de la ville de Tombouctou.

Kidane est musicien et possède un petit troupeau que garde un jeune berger, Issan ; sa compagne, Satima, et sa fille Toya restent à l’écart de la ville et se méfient des nouveaux maîtres djihadistes qui ont pris le contrôle de Tombouctou. Elles se sentent un peu seules, car de nombreuses familles sont parties pour échapper aux sévices des groupes armés.

Les premières images montrent la destruction à coup de mitraillettes de statuettes africaines reproduisant le corps des femmes. Un otage est échangé entre deux groupes.

Dans Tombouctou, un régime de terreur absurde est imposé à la population par des brutes ignorantes. La musique est interdite, les chants religieux sont suspects, plus de rires ni de sport… On assiste d’ailleurs à une partie de football irréaliste… Sans ballon. Les femmes doivent se couvrir de la tête aux pieds et gare à celles qui tentent de résister, même la vendeuse de poissons doit porter des gants ! Et bien sûr en plein cagnard.

On marie les jeunes filles sans leur consentement, ni celui de leur famille, l’imam n’a plus droit à la parole contre une charia édictée par les nouveaux chefs. Et lorsqu’il essaie d’intervenir avec des paroles de paix, la réponse est l’arbitraire et la haine. Les tribunaux djihadistes statuent sur la vie des personnes. Les flagellations, les exécutions sont banales… La lapidation est appliquée pour punir toute personne seulement soupçonnée d’avoir des liens adultères.

Kidane pense que sa famille, éloignée de la ville, sera épargnée par cette tyrannie, et ceci malgré les paroles de Satima, qui pressent une menace. L’un des djihadistes la convoite d’ailleurs ouvertement.

Un événement va soudain tout faire basculer et mettre la famille en péril. GPS, l’une des vaches du troupeau détruit un filet de pêche au point d’eau, malgré les efforts d’Issan le berger pour l’éloigner. Le pêcheur est furieux et abat l’animal. Une altercation s’ensuit entre Kidane et Amadou, le pêcheur, et, dans l’empoignade, l’arme de Kidane part…

Or, Kidane n’est pas du bon côté, celui des djihadistes, il n’a donc aucun droit et son procès est évidemment bâclé.

Timbuktu raconte une tragédie banale dans un contexte de terreur où l’enchaînement des scènes en souligne encore la fatalité. Comment résister à la barbarie, alors que même la parole n’est pas partagée ? Les djihadistes ne parlent pas la même langue, beaucoup viennent d’ailleurs, et ils s’arrogent tous les droits au nom d’une religion sur mesure.

Seule une femme assurément étrange les brave avec son coq. On peut imaginer qu’ils ont peur d’une quelconque malédiction qu’elle pourrait leur jeter.

La violence au nom du pouvoir et d’une croisade, et le silence du monde… C’est sans doute la trame de cette histoire, l’histoire de Kidane, Satima, Toya et Issane, mais c’est aussi la tragédie actuelle de toute une population prise en otage par des barbares.

La Terre éphémère de George Ovashvili (Géorgie, 2014)

Le quatrième film vient de sortir sur les écrans. La Terre éphémère du réalisateur géorgien George Ovashvili a déjà remporté plusieurs prix et révèle un très grand réalisateur.

George Ovashvili a choisi de tourner en 35 mm, au milieu du fleuve Ingouri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhasie. C’est là que des bandes de terres fertiles et éphémères apparaissent au printemps, formées par les caprices de la nature. Les paysans abkhazes y cultivent le maïs jusqu’à l’été et le début de l’automne.

Dès les premiers plans, les images sont à couper le souffle, la lumière, le cadre, les reflets sur l’eau et les nuées qui flottent au raz du courant. Lors du 36ème Festival du cinéma méditerranéen, George Ovashvili a présenté son film, la Terre éphémère, et le public était littéralement subjugué par la beauté des images et la force d’une narration cinématographique épurée.

L’histoire est simple, un vieil Abkhaze appareille sur l’une de ces îles, goûte la terre, construit une cabane et s’y installe avec sa petite fille pour y cultiver du maïs. Au cours des journées, des militaires suivent et surveillent le fleuve frontière. Les dialogues, échangés en trois langues, sont rares.
À une question de l’adolescente à propos des soldats, le vieil homme dit simplement : « En face, c’est leur terre. Mais cette terre là, elle appartient à la rivière qui l’a créée ». Le temps est rythmé par le maïs qui pousse, par l’abandon de la poupée et la fin de l’enfance de l’adolescente qui devient peu à peu une jeune fille. Sur la rive, de jeunes soldats lui font des signes. L’île est pour elle un apprentissage de l’autonomie, elle prépare le feu, apprend à pêcher, à cultiver le maïs et à conduire la barque… C’est en quelque sorte un voyage initiatique immobile.

Toute l’expression et la force des sentiments passe par les attitudes, les visages et les regards. Le film offre des émotions esthétiques intenses et rares. Les ambiances et la musique, qui coïncide avec l’arrivée de l’adolescente sur l’îlot, ajoutent encore à la magie du paysage, à la fois grandiose, inquiétant et fascinant. La nature est sauvage, rude, éternelle… Ce film est le mythe de Sisyphe revisité… Et l’on pense à deux chefs d’œuvre, l’Ile nue de Kaneto Shindo (1961) et la Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955). Du très, très grand cinéma.

Qu’est-ce que la musique disco ?

Une simple production de musique à danser destinée aux discothèques ? Une opération commerciale réussie, qui démarre au milieu des années 1970, et va fournir à gogo des produits uniformément calibrés sortis des studios-usines ? Ou bien, malgré la marchandisation évidente de cette musique, a-t-elle représenté, par certains aspects, une expression spécifique de la culture populaire ?

À voir avec nos deux invités, Alain Pozzuoli et Jean-Marie Potiez qui s’y sont collés pour écrire un dictionnaire du disco.

Il est certain que si l’on considère la vogue de certaines chansons, le succès de certains films musicaux illustrés par la vague disco, de même que l’engouement du public pour cette musique, on peut se poser la question à propos d’un phénomène sociologique.

D’aucuns diront que c’était une mode et rien d’autre, qu’elle n’était certainement pas subversive, que les groupes ont été montés de toutes pièces par des producteurs bidons, que certaines des vedettes n’ont fait qu’un tour de piste et ont disparu dans les méandres de l’oubli, bref, qu’on ne peut parler pour le disco que d’expression fabriquée de toutes pièces… Certes, tout cela est sans doute juste dans beaucoup de cas, pourtant il n’en demeure pas moins que certains des opus disco ont représenté autre chose que de simplement bouger le popotin au rythme des basses hypnotiques, sous des lumières clignotantes.

Et tout de suite, je choisis un exemple extrême : Divine, véritable icône du cinéma états-unien underground et actrice fétiche des films cultes et sulfureux de John Waters, Divine s’est lancée dans la chanson disco avec notamment, I’m so beautiful, qui complète parfaitement le tableau de sa filmographie trash, Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), Polyester (1981), et Hairspray (1988). On peut discuter de la qualité de ses interprétations,
mais le côté « je casse tous les critères moraux et esthétiques et j’en ai rien à foutre » est bien présent. En écoutant I’m so beautiful, j’ai revu la scène du trampoline dans Female trouble lorsque Divine s’adresse au public et lance
« Who wants to die for art ? » (Qui veut mourir pour l’art ?). Un des spectateurs se lève alors et elle le shoote. Alors le disco calibré avec Divine, c’est plutôt comme le trampoline, glauque et underground.

On peut évidemment continuer par le phénomène de la Blaxploitation et la représentation des Noirs dans les films, Shaft, par exemple, et dans la musique disco. Mais peut-on réellement parler ici de participation au mouvement de libération ?

Le cinéma encore une fois et la musique disco sont parfaitement représentés dans Saturday Night Fever (la Fièvre du samedi soir), de John Badham en 1977. Un succès incroyable, tous publics. John Travolta y incarne Tony Manero, un jeune mec ordinaire de Brooklin, qui chaque samedi, se transforme en vedette disco sur la piste de danse. Il oublie ainsi sa vie médiocre, les querelles familiales, le boulot minable, les tensions raciales et le gang de machos dont il fait partie.

Alors le disco, est-ce une forme d’expression populaire ? Que l’on aime ou que l’on rejette le disco, il a certainement plusieurs facettes.