Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Timbuktu
Film de Abderrahman Sissako
Article mis en ligne le 5 octobre 2015

par CP

Timbuktu de Abderrahman Sissako (Mauritanie, 2014)

Tourné en Mauritanie pour des raisons évidentes de sécurité, le film d’Abderrahman Sissako raconte la vie d’une famille Touareg vivant sous la tente, dans le désert, non loin de la ville de Tombouctou.

Kidane est musicien et possède un petit troupeau que garde un jeune berger, Issan ; sa compagne, Satima, et sa fille Toya restent à l’écart de la ville et se méfient des nouveaux maîtres djihadistes qui ont pris le contrôle de Tombouctou. Elles se sentent un peu seules, car de nombreuses familles sont parties pour échapper aux sévices des groupes armés.

Les premières images montrent la destruction à coup de mitraillettes de statuettes africaines reproduisant le corps des femmes. Un otage est échangé entre deux groupes.

Dans Tombouctou, un régime de terreur absurde est imposé à la population par des brutes ignorantes. La musique est interdite, les chants religieux sont suspects, plus de rires ni de sport… On assiste d’ailleurs à une partie de football irréaliste… Sans ballon. Les femmes doivent se couvrir de la tête aux pieds et gare à celles qui tentent de résister, même la vendeuse de poissons doit porter des gants ! Et bien sûr en plein cagnard.

On marie les jeunes filles sans leur consentement, ni celui de leur famille, l’imam n’a plus droit à la parole contre une charia édictée par les nouveaux chefs. Et lorsqu’il essaie d’intervenir avec des paroles de paix, la réponse est l’arbitraire et la haine. Les tribunaux djihadistes statuent sur la vie des personnes. Les flagellations, les exécutions sont banales… La lapidation est appliquée pour punir toute personne seulement soupçonnée d’avoir des liens adultères.

Kidane pense que sa famille, éloignée de la ville, sera épargnée par cette tyrannie, et ceci malgré les paroles de Satima, qui pressent une menace. L’un des djihadistes la convoite d’ailleurs ouvertement.

Un événement va soudain tout faire basculer et mettre la famille en péril. GPS, l’une des vaches du troupeau détruit un filet de pêche au point d’eau, malgré les efforts d’Issan le berger pour l’éloigner. Le pêcheur est furieux et abat l’animal. Une altercation s’ensuit entre Kidane et Amadou, le pêcheur, et, dans l’empoignade, l’arme de Kidane part…

Or, Kidane n’est pas du bon côté, celui des djihadistes, il n’a donc aucun droit et son procès est évidemment bâclé.

Timbuktu raconte une tragédie banale dans un contexte de terreur où l’enchaînement des scènes en souligne encore la fatalité. Comment résister à la barbarie, alors que même la parole n’est pas partagée ? Les djihadistes ne parlent pas la même langue, beaucoup viennent d’ailleurs, et ils s’arrogent tous les droits au nom d’une religion sur mesure.

Seule une femme assurément étrange les brave avec son coq. On peut imaginer qu’ils ont peur d’une quelconque malédiction qu’elle pourrait leur jeter.

La violence au nom du pouvoir et d’une croisade, et le silence du monde… C’est sans doute la trame de cette histoire, l’histoire de Kidane, Satima, Toya et Issane, mais c’est aussi la tragédie actuelle de toute une population prise en otage par des barbares.